4 Juin 2017
L'ŒUVRE c'est l'histoire de Claude Lantier, frère d'Etienne de GERMINAL, de Jacques de LA BETE HUMAINE, demi-frère d'Anna Coupeau de NANA, fils de Gervaise Macquart et Auguste Lantier de L'ASSOMMOIR et neveu de Lisa Macquart du VENTRE DE PARIS.
Claude est un artiste-peintre parisien renommé et reconnu qui vit dans le luxe et la volupté. Son mouvement avant-gardiste dit "du plein air" connaît un franc succès tant public que critique. Il vit heureux mais bien seul car il n'a aucun ami. Il s'attire d'ailleurs la jalousie des compagnons de son enfance à Plassans (où il naquit et où il revint faire ses études, sans ses parents demeurés à Paris à ne surtout pas picoler) : Sandoz l'écrivain et Dubuche l'architecte, ainsi que de leurs potes Mahoudeau le sculpteur, Jory le journaliste, et Bongrand et Fagerolles, peintres également. Faut dire que Claude réussit à atteindre la consécration en pompant allègrement le style de ce dernier, tout en le nuançant, le trahissant et le dénaturant, afin de le rendre plus consensuel, acceptable et bankable.
Ses peintures sont exposées tous les ans à l'occasion du Salon des Beaux-Arts dont le jury lui voue une sorte de culte, sauf l'année où il propose un tableau monumental sobrement intitulé "L'enfant vivant" représentant le nourrisson au visage poupin qu'il aurait rêvé d'avoir et qu'il n'a jamais eu. Et ce à cause de son petit groupe d'ennemis qui fera tout ce qui est en son pouvoir et usera de son influence pour faire refuser sa toile. Cet échec du à l'exposition ostentatoire de son portrait au Salon des refusés se révélera être pour lui un formidable tremplin pour lui permettre de réaliser sa fresque ultime qui lui apportera la gloire et la reconnaissance éternelle qui fera fermer leur gueule à tous ses détracteurs, dans la joie et la bonne humeur.
Entre temps, Mahoudeau ne créera pas sa statue idéale qui ne s'effondrera donc pas déplorablement sous l'effet du gel et du dégel des manches à balais utilisés, faute d'argent, en guise de structure (on dirait presque du Zola dis-donc). Et Dubuche ne se retrouvera pas père quasi-célibataire aimant de deux enfants handicapés, mortifié continuellement par ses beaux-parents et leurs domestiques. Et puis Sandoz n'écrira pas les Rougon-Macquart.
Et Claude ne rencontrera jamais une jeune orpheline prénommée Christine arrivée à Paris pour devenir lectrice pour une vieille dame riche. Comme il accédera légitimement au Salon officiel, il ne sera pas violemment humilié à celui des refusés, et il ne s'adonnera pas avec la jeune femme à la bayse compassionnelle. Et cette conne ne quittera pas tout pour lui de manière aussi immature qu'irréfléchie, précipitant ainsi sa perte future, toute seule comme une grande. Et ils ne s'enfuiront pas à Bennecourt où ils ne vivront pas une parenthèse enchantée loin des tourments de la création picturale et où ils ne donneront pas naissance à un petit Jacques hydrocéphale.
Par conséquent, ils ne le délaisseront pas lamentablement et Christine n'aura pas l'occasion de constater qu'elle ne parvient pas à être maman ET putain. Et Claude ne s'en foutra pas royalement, un peu tout pareil que dans les cours d'entretien pré-professionnel de l'IUFM sur la place de l'enfant dans l'Histoire. Et il ne verra pas uniquement en lui au mieux un sujet d'étude anatomique pour ses tableaux, au pire une gêne bruyante et remuante à l'expression de son art.
Ils ne rentreront jamais à Paris et Christine ne sombrera pas dans le plus pur marasme affectif en acceptant puis en suppliant Claude de poser à poil pendant des journées entières pour l'aider à finaliser son tableau et surtout pour avoir ainsi encore l'illusion d'entretenir des rapports charnels avec lui. Elle n'aura pas non plus à payer le prix de cette fausse intimité en supportant les commentaires indifférents, objectifs et désincarnés de son compagnon sur son pauvre corps qui ne peut pas être et avoir été (un objet de désir, en l'occurrence). Ils ne laisseront donc pas Jacques traîner sa grosse tête pitoyable pleine de flotte tout autour d'eux en s'appliquant à ne surtout pas les déranger, jusqu'à ce qu'il finisse par disparaître complètement en crevant tout aussi pitoyablement à l'âge canonique de pfiouuuu... 12 ans !
Claude ne s'obstinera pas non plus à peindre une gigantesque reproduction démesurée de l'île de la Cité vue du pont des Saints-Pères (actuel Pont du Carrousel) avec une énorme gonzesse toute nue sortie de nulle part en plein milieu.
Christine ne réussira finalement pas à le réattirer dans le plumard conjugal après lui avoir balancé ses quatre vérités à la gueule sur son inaptitude à parachever son œuvre et sur le bonheur qui est simple comme un coup de pine. Et, après cette ultime nuit de débauche sexuelle, Christine ne découvrira pas Claude pendu, au petit matin, devant son tableau à jamais inachevé car il ne se sera pas rendu compte que sa grande femme à poil, il l'a beaucoup moins bien réussie que le port.
PENDAISON COLLECTIVE !!!... Parce que ça fait tout de même partie des bouquins qui donnent un tout petit peu envie de mourir... Ou qui tue quelque chose de beau, de pur et de lumineux bien caché au fond de nous-mêmes... L'espoir par exemple.
L'ŒUVRE est un roman d'une force dévastatrice et d'une puissance extraordinaire. Zola utilise une construction parabolique (qui ne monte pas bien haut mais qui descend fort bas) pour parler de processus de création, d'insatisfaction et d'impuissance à atteindre un idéal et la perfection, de désir de reconnaissance (et de désir tout court), des humiliations, de la résignation et de la folie inhérentes à cette quête inaccessible.
Un livre dont la fin, avec l'annihilation psychologique de Christine et l'enterrement pathétique de Claude, laisse un gros vide dans le cœur, une angoisse, un trouble, un malaise, un désespoir, une tristesse bouleversante.
Et je crois qu'il faut vraiment lire un truc récréatif entre deux Rougon-Macquart parce qu'on en ressort tellement optimiste et tellement enthousiaste qu'on aurait presque envie de se rouler en boule dans un coin en se balançant sur soi-même et en attendant que quelqu'un vienne achever nos souffrances intérieures.