13 Mars 2016
Mesdames et Messieurs, amis des faits divers sordides, imaginez une sorte de rencontre au sommet :
Tout d'abord, Elisabeth Fritzl, autrichienne et championne toutes catégories : 18 ans au moment où son père fait croire à sa disparition et commence à la séquestrer dans un abri anti-atomique dans le sous-sol de la maison familiale, 42 ans au moment de sa libération, 7 enfants nés en captivité, 24 ans de détention.
Ensuite, Jaycee Lee Dugard, américaine : enlevée à 11 ans par Phillip et Nancy Garrido, 2 enfants nés en 18 ans de captivité, séquestrée dans un cabanon de jardin, 29 ans à sa libération.
Puis Natascha Kampusch, autrichienne (tiens, tiens, tiens...) : 10 ans au moment de son enlèvement par Wolfgang Priklopil, détenue dans le sous-sol de la maison de son ravisseur pendant 8 ans, 18 ans lorsqu'elle parvient à s'échapper.
Et enfin la rookie de fiction, Joy : enlevée à 17 ans, un fils de 5 ans à sa libération (comme Elisabeth), emprisonnée dans une cabane de jardin (comme Jaycee Lee), libérée à 24 ans après presque 8 ans de captivité (comme Natascha).
Et maintenant, la première qui parvient à pousser un spectateur au meurtre ou au suicide en racontant son calvaire dans les moindres détails a gagné !
Et ben non, même pas.
Là où on pouvait craindre une surenchère dans le trash, le glauque et l'abjection humaine, Lenny Abrahamson nous oppose un film digne et sobre, porté par des acteurs qui n'en font jamais des tonnes (les parents sont parfaits, Brie Larson est très forte et mérite amplement son Oscar mais c'est Jacob Tremblay (qui joue son gamin) qui illumine son jeu et qui est véritablement incroyable...).
L'intelligence de cette adaptation du roman éponyme d'Emma Donoghue tient d'ailleurs dans le choix du point de vue de Jack, le fils que Joy a eu pendant sa séquestration, qui rend l'indicible encore plus insoutenable (parce qu'il en est témoin mais qu'il ne comprend pas tout), et de cette bulle irréelle que l'instinct (maternel, de survie, comme vous préférez) l'a poussée à créer autour de lui.
Bon c'est vrai qu'elle, c'est tout de même la mère de Tchoupi qui aurait bouffé celle de Petit Ours Brun tellement elle est zen et lui, c'est le gamin en slip (ou en pyjama) enfermé pendant 5 ans dans une pièce seul avec sa mère (et de temps en temps un violeur), le plus équilibré et le plus calme de l'Histoire... Mais ceci explique peut-être pourquoi il est un peu con à prendre le mobilier pour ses copains.
Maintenant imaginez donc plutôt qu'on essaie de vous faire ressentir, sans pathos et sans voyeurisme exacerbés, le quotidien de cette mère et de ce fils né de l'infamie et qui pourtant (et égoïstement comme ne manquera pas de le faire remarquer la journaliste) est tout son univers.
La menace sourde de ce qui pourrait arriver, et l'angoisse de cette mère qui ne pense plus qu'à une chose : protéger son fils de son père biologique.
Le cheminement psychologique de cette femme qui va prendre la décision que tout doit s'arrêter et que c'est maintenant qu'elle doit faire exploser cette bulle de protection factice qu'elle a créée autour de Jack.
La tension de la fuite, même si on en connaît l'issue.
Le retour, la naissance et l'éveil à la vie et au monde de cette mère et de son fils. Les apprentissages de choses tellement basiques, les retrouvailles avec la famille, le schisme entre la personne que Joy a été, celle qu'elle aurait dû devenir et celle qu'elle est devenue (parce qu'elle reste une gamine de 17 ans qui a mangé 7 ans de torture et un mouflet dans les gencives), toutes ces petites choses qui sont ou qui auraient dû être, comme autant de marqueurs de la cruauté qui prouvent que le sentiment d'oppression ne s'arrête pas au moment de la libération, que le processus de guérison sera très long. Ces choses que le film effleure furtivement en les abordant par le biais de la relation fusionnelle entre Joy et Jack, ces choses qui défient l'entendement général, et celui de Jack encore plus). La diversité des réactions humaines, enfin, pas si stéréotypées que ça, motivées par les sentiments (égoïstes parfois) que renvoie à chacun cette captivité.
Il en ressort un film avec un travail immense sur les sons et la lumière tantôt étouffés, tantôt amplifiés, sur la sensation d'enfermement (et ce avant comme après la fuite).
Un beau film très pudique qui fout les boules, qui ne donne pas dans la psychologie de comptoir martelée à grands coups de sensiblerie (et autres coups de latte misérabilistes), moins intensément chiale que la bande-annonce mais bien chiale quand même, qui vaut le coup pour la performance de son casting dans son entier et ses idées de réalisation compassionnelles au sens physique (voire viscéral) du terme (... et heureusement que le toubib s'appelle Mittal, histoire de pouvoir caser des jeux de mots de merde à base de sidérurgie pour détendre l'atmosphère).
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