8 Avril 2021
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Miette et Silvère quitte Plassans avec la cohorte des insurgés républicains. Au bout d’un moment, Miette fatigue alors les deux amoureux quittent le cortège pour aller se reposer et se rouler une galoche au clair de lune.
Miette tue sa mère en venant au monde. Quand elle atteint l’âge canonique de 9 ans, son père, braconnier de son état, est envoyé au bagne pour avoir un petit peu buté un gendarme.
Le braconnier avoua hautement le meurtre ; mais il jura que le gendarme le tenait lui-même au bout de son fusil. « Je n’ai fait que le prévenir, dit-il ; je me suis défendu ; c’est un duel et non un assassinat. » Il ne sortit pas de ce raisonnement. Jamais le président des assises ne parvint à lui faire entendre que, si un gendarme a le droit de tirer sur un braconnier, un braconnier n’a pas celui de tirer sur un gendarme.
La gamine va vivre avec son grand-père avec lequel elle fait la manche. Comme Miette, en plus d’être affublée d’un prénom de merde (même si en vrai elle s’appelle Marie), jouit d’un magnifique karma pourri, son grand-père meurt aussi. Ses voisines parviennent à dénicher une obscure tante pour lui refourguer la gosse (et accessoirement l’empêcher de mendier de par les routes et de se retrouver à la merci de tous les prédateurs sexuels du coin).
La tante en question, Eulalie Chantegreil, est mariée à Rébufat, agriculteur au Jas-Meiffren (le grand terrain agricole de Plassans auquel ont été ajoutées les terres d’Adelaïde quand Pierre les a vendues pour récupérer le pognon de sa mère au chapitre 2).
Eulalie n’est pas de prime abord très commode mais elle se révèle finalement être un adjuvant dans la quête existentielle de Miette (empêchant par exemple son époux de tuer la gamine à la tâche). Mais c’était sans compter sur la présence de son cousin Justin, un vil connard de 16 ans. En effet, en plus d’être un gros branleur, son passe-temps favori est de torturer psychologiquement et physiquement la petite (demi)orpheline de, rappelons-le, 9 piges.
Malgré tout, Miette (sur)vit tant bien que mal dans cette ambiance de totale insécurité affective. Quand, tout à coup, pas tout à fait deux ans plus tard et loi de Murphy oblige, Eulalie meurt. Transformation : Miette devient Cosette, Justin et son père les Ténardier.
Le soir, brisée de fatigue, elle pleurait sa tante, cette terrible femme dont elle sentait maintenant toute la bonté cachée.
Elle en mange plein la gueule par son oncle, son cousin et quiconque a envie de se défouler dans l’exploitation agricole, se cache pour pleurer, ravale sa colère et sa fierté et passe maîtresse dans l’art de répondre à la provocation par un mutisme plein de rage. Par le truchement d’un ciseau tombé du mur mitoyen entre le champs que Miette désherbe à la main et ce qui reste de la propriété d’Adelaïde, elle rencontre Silvère, 15 ans alors. Il se renseigne sur elle et apprend moult détails sordides sur sa courte destinée, racontés avec une délectation non dissimulée par ses camarades d’atelier. Alors Silvère, qui, dans son idéal de justice déteste la bêtise et la méchanceté gratuite, se prend d’affection pour la môme.
Pendant un mois, Miette et Silvère trouvent le moyen de se voir en cachette par le biais de leur reflet dans l’eau du puits traversé par le mur mitoyen qui coupe l’ancienne propriété des Fouque en deux. Et l’affection devient de l’amour dans une jolie parenthèse poétique et enchantée qui se mue en un funeste présage pour ses jeunes protagonistes idéalistes et innocents (puisqu’ils ont la malchance d’être des personnages de Zola, ce qui laisse assez peu de place à un hypothétique Happy end pour leur histoire d’amour). Alors ils décident de se voir en vrai mais toujours en cachette, Miette n’ayant pas spécialement envie de tendre le bâton pour se faire battre par son cher cousin Justin. Ils se retrouvent « au fond de l’aire Saint-Mittre », à l’endroit-même où nous les avions découverts dans le Chapitre 1, entre un camp de gitans et un ancien cimetière.
Vaguement, avec leur imagination vive, ils se disaient que leur amour avait poussé, comme une belle plante robuste et grasse, dans ce terreau, dans ce coin de terre fertilisé par la mort.
La nuit, Silvère lui apprend à nager dans la rivière, Miette lui apprend à relativiser (théorie qu’elle a du mal à s’appliquer à elle-même quand elle découvre que la vieille tombe sur laquelle ils squattent toutes les nuits est celle d’une dénommée Marie).
Et ce fut ainsi que, pendant près de deux années, ils s’aimèrent dans l’allée étroite (...). Leur idylle (...) garda son charme exquis de conte grec, son ardente pureté, tous ses balbutiements naïfs de la chair qui désire et qui ignore. Les morts, les vieux morts eux-mêmes, chuchotèrent vainement à leurs oreilles. Et ils n’emportèrent de l’ancien cimetière qu’une mélancolie attendrie, que le pressentiment vague d’une vie courte ; une voix leur disait qu’ils s’en iraient, avec leurs tendresses vierges, avant les noces, le jour où ils voudraient se donner l’un à l’autre.
Au lever du soleil, Miette et Silvère reprennent la route, bien décidés à rattraper les insurgés et sans reparler de leur baiser de la veille, « de cette caresse ardente qui avait mis dans leur tendresse un besoin nouveau, vague encore, et qu’ils n’osaient formuler ».
Arrivés dans le bled suivant en même temps que la queue du peloton, ils sont accueillis dans la liesse de ses habitants pour les défenseurs de la République.
Silvère y retrouve son tonton Pascal, enrôlé de son plein gré pour soigner les futurs blessés.
Tous font la teuf pendant un jour ou deux mais au petit matin, c’est une sérieuse gueule de bois qui s’installe : le bruit court que les soldats arrivent pour réprimer l’insurrection dans la joie, les cotillons et un bain de sang. Sous le prétexte de prendre le bataillon à revers, les chefs désertent et les clampins moyens de la cohorte restés sur la place du village, se font massacrer.
Des hommes s’enfuirent, jetant leurs armes, sautant par-dessus les morts. Les autres serrèrent les rangs. Il resta une dizaine d’insurgés. Deux prirent encore la fuite ; et, sur les huit autres, trois furent tués d’un coup.
Les deux enfants étaient restés machinalement, sans rien comprendre.
Miette qui, avec son drapeau, se dessine sans le savoir une grosse cible dessus, est touchée par une balle. Et Silvère, incrédule et impuissant, la regarde mourir :
Miette lui disait qu’elle partait seule, avant les noces, qu’elle s’en allait sans être sa femme ; elle lui disait encore que c’était lui qui avait voulu cela, qu’il aurait dû l’aimer comme tous les garçons aiment les filles.
En effet, comme toute bonne fan du maître de l’horreur et de sa grande saga philosophique Scream, elle connaît la règle absolue qui veut que l’héroïne ne peut pas être trucidée par le tueur tant qu’elle est vierge.
Alors, au moment-même où elle sent la balle la transpercer, Miette comprend qu’elle est foutue, la faute à la loi du théorème inversé : en effet, si son amour était devenu charnel, il n’aurait plus été pur. Il serait donc devenu digne d’attrait, permettant aux deux amants de vivre pour devenir peu à peu et irrémédiablement des ordures (parce que bon, c’est Zola quoi).
Mais là, une relation belle, platonique, saine, propre, respectueuse... Pffff, sérieusement : quel intérêt ?
Et pourtant, subitement, à l’instant fatal, un doute l’assaille. Miette hésite : est-elle bien victime du théorème de Wes Craven inversé ou plutôt du syndrome de Wes Craven précoce, cet autre variant qui veut que l’idée-même d’avoir envisagé le passage à l’acte (lors de leur roulage de pelle de la veille) ait rendu leur amour suffisamment impur pour mériter la mort ?
Enfin, lasse de toutes ces considérations métaphysiques :
A son agonie, dans cette lutte rude que sa nature sanguine livrait à la mort, elle pleurait sa virginité. Silvère, penché sur elle, comprit les sanglots amers de cette chair ardente.
Silvère lui bouffe un peu les seins (histoire qu’elle meure pucelle mais pas trop), drape son cadavre à demi-nu dans l’étendard (et dans un semblant de dignité) puis, incapable de réagir, Silvère est fait prisonnier.
Pendant ce temps, le receveur général, lui-même prisonnier (mais des insurgés) est tué par le déferlement de haine aveugle des soldats, incapables, quant à eux, de cesser le feu.
LA FORTUNE DES ROUGON d'Emile Zola [contre-profil d'une œuvre] - CHAPITRE 6 - DLCH
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