19 Avril 2021
Previously dans La Fortune des Rougon : Chapitre 1 / Chapitre 2 / Chapitre 3 / Chapitre 4 / Chapitre 5
Au beau milieu de la nuit et une fois les insurgés partis, Rougon sort de son terrier (enfin de celui de sa mère en l’occurrence). En cheminant dans les rues désertes de Plassans, il flippe que le maire et ses potes aient finalement résisté et jeté les républicains en prison. Mais, fort heureusement pour lui et pour son ambition dévorante, il n’en est rien. Arrivé en bas de chez lui, sa femme, Félicité, lui fait de grands signes à la fenêtre et lui balance sans mot dire la clé du hangar secret où sont planquées les armes amassées par les réactionnaires. Il va réveiller certains de ses potes planqués du salon jaune (qui n’ont donc pas pu être embarqués par la bande insurrectionnelle), et tout ce petit monde se retrouve au hangar pour la grande distribution de fusils qui devra leur permettre de reprendre Plassans à la vingtaine de républicains encore en ville.
Puis, quand ils furent prêts, quand ils eurent chargé leurs armes avec des précautions infinies, ils restèrent là un instant, à se regarder d’un air louche, en échangeant des regards où de la cruauté lâche luisait dans de la bêtise.
Ils s’en vont donc, à pas de loups, attaquer à deux contre un l’Hotel de ville dans lequel Rougon soupçonne son demi-frère Macquart de se trouver. La bande avance lentement, effrayée par sa propre ombre et le moindre bruit, mais finit par arriver à destination. Ni une ni deux, Rougon (qui fait un peu son chef) ordonne à ses copains de bâillonner la sentinelle endormie, poste la moitié de ses hommes pour surveiller les républicains (endormis eux aussi) et les constituer prisonniers à leur réveil. Puis il monte avec le reste de sa troupe pour aller cueillir son enflure de petit frère encore (ou déjà) éveillé à l’étage. Une lutte s’engage, un coup de feu part sans faire de blessé (à part un miroir), trois nouvelles détonations, tirées en l’air sans raison, y répondent en contrebas...
Il y a de ces moments où les fusils partent d’eux-mêmes dans les mains des poltrons.
Rougon et ses potes se partagent le pouvoir : Pierre prend l’intérim de direction de la ville, Granoux devient son secrétaire et Roudier hérite de la milice locale. Vuillet, de son côté et en loucedé, s’octroie le rôle de chef des postes (ce qui est important pour plus tard, rapport au courrier).
Puis Rougon rentre chez lui. En bas de sa maison, il trouve le mec que Macquart avait posté pour l’arrêter.
Ah mais c’est pour ça que sa femme lui a jeté la clé de l’armurerie par la fenêtre tout à l’heure alors !
Rougon lui dit, en gros, « va voir là-bas si j’y suis » et « oh ! Tu entends ? Mais c’est Macquart qui t’appelle ! ». Alors le mec s’en va gaiement se faire cueillir comme un gros gland à la mairie. En haut, Pierre retrouve sa femme et lui annonce qu’ils auront la place de receveur si Peirotte, qui a été fait prisonnier par les insurgés, n’en sort pas vivant. Ils en viennent donc tout naturellement à souhaiter sa mort parce que ce sont des gens sympas comme tout. Rougon raconte ensuite à Félicité comment il a repris Plassans en se donnant évidemment le beau rôle. Félicité ne réussit pas à tenir sa langue et lui fait remarquer, à juste titre, qu’il n’en serait pas là sans son entremise qui lui a permis d’éviter de se faire gauler comme une merde par le sbire de son demi-frère qui l’attendait dans les escaliers. Rougon remet salement sa femme à sa place... de femme. Alors Félicité se jure de le lui faire payer.
Les copinous à Rougon, présents et absents lors de la prise de la mairie, débarquent dans le salon jaune pour le grand récit emphatique (et à peine exagéré) des événements.
Il y eut une violente émotion ; l’auditoire parut frappé de respect devant ce héros. Il avait entendu siffler une balle à son oreille ! (...)
« Le coup part, j’entends siffler la balle à mon oreille, et, paf ! la balle va casser la glace de M. le maire.
Ce fut une consternation. Une si belle glace ! incroyable, vraiment ! Le malheur arrivé à la glace balança dans la sympathie de ces messieurs l’héroïsme de Rougon.
Une fois repus de tant de bravoure, les membres du salon jaune se dispersent dans Plassans pour aller colporter les nouvelles. En effet, alors que la ville s’éveille, nombre de ses habitants ne sont même pas au courant des événements de la nuit (la faute à un sommeil particulièrement lourd ou à une panne de réseau qui a coupé la transmission des chaînes d’infos en continu). Quand ils apprennent qu’une bande d’insurgés assoiffés de sang s’est répandue dans la ville, ils flippent leur race. Et c’est ainsi que Rougon et ses potes obtiennent le statut de héros sauveurs de la ville d’un péril imaginaire (le défilé des insurgés ayant été plutôt inoffensif, pacifique et festif de mémoire) dont quasiment personne n’a eu conscience.
L’idée qu’ils étaient sans sous-préfet, sans maire, sans directeur des postes, sans receveur particulier, sans autorités d’aucune sorte, consterna d’abord les habitants. Ils restaient stupéfaits d’avoir pu achever leur somme et de s’être réveillés comme à l’ordinaire, en dehors de tout gouvernement établi. La première stupeur passée, ils se jetèrent avec abandon dans les bras des libérateurs.
Et de là à ce que la populace, avide de raccourcis beaucoup plus spectaculaires qu’une réalité trop terne, en arrive à penser que Pierre Rougon et les quarante glandus aient réussi à mettre en fuite la totalité de la cohorte des insurgés (et pas la petite vingtaine de républicains laissés en baby-sitting à Macquart) il n’y a qu’un pas que la bande des joyeux réactionnaires ne contredira pas.
C’est ainsi que naquit à Plassans la légende des quarante et un bourgeois faisant mordre la poussière à trois mille insurgés.
De son côté, Félicité explique à son fils préféré, Aristide (celui qui est républicain par pur esprit de contradiction vis à vis de son père), comment retourner habilement sa veste.
En attendant sa libération, Rougon prend possession du bureau du maire et de ses attributions. De ce fait, il rend visite aux gendarmes pour mieux les maintenir à l’écart et laisser gérer la sécurité à sa propre police tenue par Roudier. Il va au chevet du gendarme blessé par ces salauds d’insurgés et comprend que c’est sans doute son neveu Silvère qui lui a crevé l’œil. Le gendarme, calme, pondéré et surtout magnanime, jure de buter le responsable de sa mutilation.
À partir de là, la ville toute entière, effrayée par un retour des insurgés qui reviendraient libérer leurs petits copains prisonniers, se met à attendre l’arrivée de l’armée bonapartiste... qui ne vient pas. Rougon et ses potes pseudos-libérateurs passent la nuit sur la terrasse du marquis à scruter la campagne et sont victimes d’une magnifique hallucination collective savamment orchestrée par leur hôte, qui s’amuse à leur faire voir des troupes républicaines inexistantes.
Au petit matin, malgré l’absence du moindre insurgé, les portes de la ville restent fermées car les rumeurs de l’échec du coup d’état à Paris se répandent insidieusement. Et avec elles, celles de l’arrivée plus que prochaine des républicains prêts à défoncer Plassans pour de bon cette fois-ci, pour se venger de la reprise de la ville par les réactionnaires. Réactionnaires qui passent hyper rapidement d’un statut de héros à celui de coupables inconséquents, déclencheurs d’un massacre futur.
Peu à peu chacun des membres de la commission municipale présidée par Rougon déserte parce que, outre le fait d’être devenus plus ou moins indésirables, reprendre la mairie à quarante et un contre vingt c’est une chose mais défendre une ville à quarante et un contre 3000 c’en est une autre.
Rougon rentre chez lui en ayant bien les boules et retrouve son salon jaune, personnage à part entière qui n’est autre que le reflet de son avidité crasseuse et de sa pitoyable soif obsessionnelle de pouvoir.
Le jour tombait, un jour sale d’hiver qui donnait des teintes boueuses au papier orange à grands ramages ; jamais la pièce n’avait paru plus fanée, plus sordide, plus honteuse.
Cachés derrière les persiennes, Pierre et Félicité écoutent quelques habitants lucides de la ville déballer sans le savoir toute la vérité sur leur histoire et leurs coups de pute passés et présents. De son côté, Aristide (qui devait rejoindre la réaction pour qu’un peu de la gloire de ses parents puisse rejaillir sur lui) se remet à jouer au grand blessé pour ne pas prendre parti.
Alors que la situation commence à salement puer du cul pour les Rougon qui se disent qu’il vaut peut-être mieux faire profil bas, Vuillet publie dans sa Gazette un article totalement dithyrambique dans lequel il relate les faits sans précaution aucune, comme s’il était sûr et certain que les républicains n’allaient pas revenir (dévoyant par ailleurs la figure de Miette au milieu de la cohorte ses insurgés).
Elles brandissaient des drapeaux, elles s’abandonnaient, en pleins carrefours, aux caresses ignobles de la horde tout entière. » Et Vuillet ajoutait avec une emphase biblique : « La République ne marche jamais qu’entre la prostitution et le meurtre. »
Au vu des accointances entre le rédacteur du journal et les Rougon, un pareil pamphlet va clairement être considéré par la population comme une commande de Pierre. Alors les Rougon sont en PLS. Ils se demandent pourquoi leur fils Eugene les a abandonnés quand soudain, Félicité percute un truc.
Vuillet avait l’injure trop impudente et le courage trop facile, pour que la bande insurrectionnelle fût réellement si voisine des portes de la ville.
Elle va chez Vuillet, le libraire-imprimeur nouvellement passé chef du courrier. Comme elle l’imaginait, c’est bien lui qui a reçu, ouvert et lu la lettre envoyée par Eugène dans laquelle il expliquait à ses parents que le coup d’état était une réussite totale.
Félicité négocie alors avec le journaliste opportuniste : elle ferme les yeux sur son crime (parce que décacheter des lettres qui ne sont pas à soi, c’est risquer le bagne. Putain ça deconnait pas à l’époque)...
... Et en échange de son soutien et de sa loyauté indéfectibles ainsi que de l’abandon de quelque velléité de pouvoir que ce soit, Vuillet fournira à nouveau les livres au collège local.
Autrefois, c’était lui qui fournissait l’établissement de livres classiques. Mais on avait appris qu’il vendait, sous le manteau, des pornographies aux élèves, en si grande quantité, que les pupitres débordaient de gravures et d’œuvres obscènes.
De retour chez elle, assurée de leur futur succès, Félicité tient sa vengeance : elle fait croire à son mari que Louis-Napoléon Bonaparte est mort et que tout est foutu. Alors Rougon voit rouge et accuse tout le monde de l’échec de sa vie.
Il aurait vainement volé sa mère, mis la main dans les plus sales intrigues, menti pendant des années. L’empire ne payerait pas ses dettes, cet empire qui seul pouvait le sauver de la ruine.
Mais Félicité a un plan pour leur permettre de revenir dans le game et surtout récupérer ce rôle dans leur conquête de la ville que son mari lui a volé : ils vont organiser une fausse attaque républicaine de la mairie. Et qui serait assez con pour prendre la tête de l’attaque ? Macquart bien sûr ! Sa belle-sœur va donc lui rendre visite le lendemain dans le cabinet du maire où il est toujours tenu prisonnier. Moyennant finance, elle obtient son accord (et l’occasion de se débarrasser définitivement de lui). Le deal c’est qu’il aille chercher ses potes mi-clodos mi-alcoolos avec qui il refaisait le monde au Chapitre 4 pour attaquer l’hôtel de ville puis s’enfuir et passer la frontière.
Rougon se tient prêt à défendre seul la mairie (comprendre « sans ses potes les plus influents du salon jaune » auquel il confie d’autres missions pour pouvoir s’attribuer plus tard tout le mérite).
Roudier arriva un des premiers. Mais Rougon les renvoya à leurs postes, en leur disant sévèrement qu’on n’abandonnait pas ainsi les portes d’une ville. Consternés de ce reproche — car, dans leur panique, ils avaient, en effet, laissé les portes sans un défenseur, — ils reprirent leur galop, ils repassèrent dans les rues avec un fracas plus épouvantable encore. Pendant une heure, Plassans put croire qu’une armée affolée le traversait en tous sens.
Pif-paf-poum, Macquart et ses potes attaquent la mairie. Attaque qui fait quatre morts dont trois dans le camp des pseudos-assaillants.
La fusillade, que les Rougon avaient imaginée pour se faire accepter définitivement comme les sauveurs de Plassans, jeta à leurs pieds la ville épouvantée et reconnaissante.
La panique de la nuit grandit encore l’effet terrible causé, le matin, par la vue des quatre cadavres. Jamais l’histoire vraie de cette fusillade ne fut connue. Les coups de feu des combattants, les coups de marteau de Granoux, la débandade des gardes nationaux lâchés dans les rues, avaient empli les oreilles de bruits si terrifiants, que le plus grand nombre rêva toujours une bataille gigantesque, livrée à un nombre incalculable d’ennemis. (...)
Jamais cinq cents hommes n’auraient pu de la sorte éveiller une ville en sursaut. C’était une armée, une belle et bonne armée que la brave milice de Plassans avait fait rentrer sous terre.
Les Rougon reçoivent enfin la fameuse lettre recachetée de leur fils Eugène qui leur explique tout bien comment les bonapartistes ont gagné à Paris (lettre que Félicité avait bien entendu déjà lue précédemment chez Vuillet, le dealer de porno).
Pierre, triomphant, la (...) tendit [à sa femme] après l’avoir lue.
– Tu es une sorcière, lui dit-il en riant. Tu as tout deviné. Ah ! quelle sottise j’allais faire sans toi !
LA FORTUNE DES ROUGON d'Emile Zola [contre-profil d'une œuvre] - CHAPITRE 7 - DLCH
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