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HÉRÉDITÉ de Ari Aster [critique]

Annie Graham vit avec son mari, sa fille de 13 piges et son fils de 16 et des brouettes (à la louche) dans une grande maison isolée dans la forêt parce qu’on est dans un film d’épouvante et qu’un F3 en résidence neuve PTZ+ c’est un peu moins flippant (quoique).

Le film commence avec la mort d’Ellen, la mère d’Annie, qui faisait de bonnes grosses crises de démence. Certes la mère et la fille étaient brouillées (faut dire que la première avait un petit peu tendance à vouloir piquer ses gosses à la seconde) mais tout le monde habitait quand même sous le même toit à la fin.

Ajoutons à ça l’allergie aux fruits à coque de la fille, Charlie, le lourd passif en terme de pathologie mental familial, des suspicions de sorcellerie et, comme disait la philosophe Nadiya, « c’est parti pour le show ».

Merci Cinetrafic !

Maintenant, j’ai plein de nouveaux trucs à rajouter dans ma liste de peurs irrationnelles : aux côtés des longs couloirs d’hôtel avec de la moquette orange, des pasteurs qui chantonnent en ombre chinoise dans la nuit, des baignoires avec des gens supposément morts dedans, des photos de classe devant des fenêtres, des rideaux de douche, des chemises de nuit, des petits tas de caillasses dans la forêt, des appartements communiquant secrètement, des mômes qui jouent avec le flingue de leur père et des albums photo avec des cadavres endimanchés qui posent, je trouve désormais les enfants qui passent la tête par la fenêtre des voitures, les maisons de poupées, les claquements de langue et les gamines qui fabriquent des figurines steampunk mi-organiques mi-mécaniques avec des têtes de pigeons morts tout en bouffant du chocolat.

Et le pire, c’est que c’est moi qui ai demandé à voir ce film !

Parce que je l’avais loupé au ciné, parce que les retours étaient majoritairement très positifs (et justifiés a posteriori), parce que je suis complètement maso, parce que ça aurait été bien con de passer à côté d’une œuvre qui présenterait le meilleur de l'horreur (voire pour certains de tout le cinéma de l'année) même si je savais très bien que j’allais flipper ma race parce que j’entretiens avec le genre horrifique un peu la même relation qu’ont les personnes souffrant de vertige avec le vide : une véritable attraction qui peut pousser à vouloir sauter dedans à pieds joints même si après on le regrette amèrement, soit parce qu’on est mort écrabouillés sur le bitume, soit parce qu’on ne dort plus et qu’on ne peut plus aller aux toilettes une fois la nuit tombée.

Bref, clôturons cette introduction en forme d’introspection Instagram « je raconte ma vie et tout le monde s’en branle ».

HÉRÉDITÉ de Ari Aster [critique]

Pourquoi donc que ça fait peur, HÉRÉDITÉ ?

Plus que de l’horreur pure (on est pas sur du 24 jump-scares par minute), le film instille insidieusement un sentiment de malaise, une oppression, une atmosphère, une angoisse palpable avec sa lenteur, ses scènes du quotidien filmées en temps réel, ses longs plans rotatifs où l’œil cherche avidement, désespérément et irrémédiablement le détail qui va faire peur, son travail indéniable et d’une efficacité redoutable sur le son, les décors et la lumière, tous ces détails et ces idées de mise en scène immersifs qui donnent l’impression au spectateur d’être tout le temps sur le qui-vive, en empathie totale avec les personnages.

Et puis il y a également ces plans statiques où l’action est décentrée et où l’on a véritablement la sensation que les personnages sont dans une des maisons de poupées fabriquées par Annie... Avec cette métaphore-même de la maison de poupées qui laisse subtilement supposer la présence, réelle ou fictive, d’une force supérieure qui manipulerait les petits sujets, telle une représentation d’un déterminisme inéluctable directement lié à l’hérédité (comme le titre !!!).

Ainsi, pendant un peu moins de deux heures de film, on ne sait pas ce qui est réel, ce qui est fantasmé, ce qui relève du rêve ou de la maladie psychique.

Un magnifique flou artistique particulièrement effrayant qui rend les scènes-choc extrêmement percutantes tant elles restent longtemps imprimées sur la rétine : elles sont si talentueusement pensées et amenées, du crescendo à la rupture rythmique, qu’elles demeureront sans doute gravées dans la zone du cerveau où sont conservés tous les petits monuments d’horreur. Comme celle de l’accident, par exemple, qui constitue à elle seule un superbe traumatisme avec ce silence soudain, la réaction de son protagoniste principal, l’enchaînement de ses actions jusqu’à ce que le silence soit brisé par des cris déchirants et que tout devienne vrai.

De plus, les relations entre les personnages sont complexes et les acteurs qui les interprètent sont tout bonnement excellents : la jeune Milly Shapiro, en fille inquiétante et pas tout à fait sur le même plan du réel que tout le monde, Gabriel Byrne en mari par trop raisonnable, Alex Wolff qui semble puni d’avoir joué dans JUMANJI 2 pour avoir atterri dans une famille pareille, et Toni Colette qui, après s’être coltiné un gamin qui voyait des morts partout, semblait tout simplement prédestinée pour le rôle tant elle est impériale. Et ce même si son personnage, perdu et ambivalent, peut parfois défier toute logique.

Car est-il parfaitement sain et sensé de reproduire en miniature les moments les plus trash et les plus violents de sa vie ?...

Cependant, à l’aune du dénouement, ça peut peut-être se comprendre aussi.

HÉRÉDITÉ de Ari Aster [critique]

Reste donc la fin qui peut sembler pour le moins déroutante.

Parce qu’on a subitement droit à tout : du sang qui gicle, des gens collés au plafond, d’autres à poil, d’autres qui se courent après, du cadavre étêté, de l’hystérie, des hurlements, de l’auto-décapitation...

Un peu comme si le réalisateur s’était contenu tout du long pour ne pas verser dans le gore et que toutes les barrières cédaient d’un coup, un peu comme quelqu’un qui s’inflige des contraintes alimentaires drastiques et qui fait subitement une descente compulsive dans le frigo.

Ou bien il a voulu compiler toute la violence implicite des indices disséminés dans le développement de son film pour réaliser une fin mémorable...

Ou bien il ne pouvait se contenter de faire un film glaçant d’effroi et il se devait de créer une espèce de polémique pour faire fonctionner le bouche à oreille et ainsi toucher un public plus large en satisfaisant enfin les amateurs de surenchère horrifique, public qu’il aurait sans doute perdu avec la quasi totalité des séquences qui précèdent le grand final.

Ou bien il était lui-même terrifié par son film et il a tout simplement voulu y intégrer son Nyan Cat personnel (technique qui consiste à visionner en boucle une énorme connerie sur YouTube jusqu’à épuisement juste après avoir regardé un truc qui fait très peur) : avec ce dénouement quelque peu excessif, malsain voire carrément dégueu, il inocule au public le remède au mal qu’il a semé. En effet, en ne laissant plus planer de doute, en expliquant et en rationalisant en quelque sorte les différents événements, il tendrait à les rendre un peu moins effroyables (enfin... tout est relatif).

Bon, à partir de là il y a deux écoles : ceux qui voient donc cette fin comme une apothéose d’horreur et ceux qui la voient comme une sorte de poil de cul sur la soupe un peu ridicule. Il y aussi ceux qui n’en ont strictement rien à foutre ceci-dit... Ouais donc en fait, il y a plus de deux écoles.

Et pourtant si on y réfléchit bien, cette fin est parfaitement cohérente avec le reste du film, un peu carrément comme dans ROSEMARY’S BABY. Mais Ari Aster, tout talentueux qu’il est (n’oublions pas que c’est un premier film et qu’on n’est pas loin du « coup d’essai, coup de maître »), n’est pas (encore) Roman Polanski (niveau réalisation et pas problèmes judiciaires).

Alors est-ce la façon de filmer ce dénouement qui tranche diamétralement avec tout ce qui a précédé, comme si cette résolution radicale n’appartenait pas à la même œuvre ?

Ou bien tout ceci n’est finalement qu’une habile métaphore totalement voulue de la possession des corps et des esprits qui n’appartiennent plus à leurs propriétaires.

HÉRÉDITÉ de Ari Aster, un très bon film de genre, un jeu de massacre à voir et à revoir en famille, juste après des obsèques, en DVD, Blu-Ray et VOD depuis le 15 octobre avec la Metropolitan Filmexport.

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