28 Octobre 2018
« D’à-très-peu-près » parce que, soyons lucides (enfin pas longtemps) : non seulement les versions que nous racontons aux enfants sont des trahisons à la limite de la tradition orale colportée par des troubadours toxicomanes, mais en plus elles sont au mieux ultra synthétiques, au pire lacunaires voire erronées (coucou Lewis Caroll !).
Celle-ci ne dérogera pas à la règle.
Toum-Toum
Il était une fois un menuisier qui s’appelait Gepetto et qui s’emmerdait comme un rat mort. Il avait pourtant en sa possession une bûche qui parlait, chantait, pleurait et riait... Mais, pour tromper son ennui (et parce que c’était nettement plus acceptable socialement que de se laisser aller à sa schizophrénie), il décida de l’utiliser pour se fabriquer un pantin...
Cette bûche magique ne suffisait-elle pas à atténuer (sinon à combler) son sentiment de solitude ? N’était-elle pas assez flippante et réaliste ? Sa conversation était-elle à ce point inintéressante ? N’arrivait-il pas à projeter son désir de paternité sur un morceau de bois si enchanté soit-il ? Fallait-il que son enfant ait nécessairement la forme d’un enfant ? Le vieux Gepetto avait-il des ambitions cachées déviantes, criminelles et inavouables ?...
Et quid de la création du pantin ? La bûche avait-t-elle supplié, poussé des hurlements sous les coups de rabots du vieillard obsessionnel ? Avait-t-elle ressenti cette modification de son être comme une traîtrise doublée d’un profond mépris de la part de son propriétaire ?
Toutes ces questions resteront malheureusement sans réponse mais toujours est-il qu’au fur et à mesure que Gepetto sculptait, le pantin s’animait, ce qui n’était absolument pas prévisible au vu de la matière première utilisée. Et une fois la besogne terminée, le petit pantin de bois se mit à danser et à chanter à tue-tête étant donné que sa capacité pulmonaire avait nettement augmenté par rapport à la période où il n’était qu’une vulgaire bûche qui parle.
– Je rêve ! s’exclama son concepteur...
Gepetto était ravi car, comme suggéré plus avant, il n’avait pas d’enfant (pas de femme non plus d’ailleurs, ce qui aurait pu avoir une certaine utilité niveau procréation à un moment donné). Comme il était très pauvre (mais riche de cœur), il décida alors d’appeler son pantin magique Pinocchio, ce qui signifie « petit pignon » en toscan du 19ème Siècle et par extension « petit crevard » dans la langue secrète de Collodi (merci Fernando Tempesti), histoire de bien lui rappeler sa condition sociale merdique ainsi que sa filiation culturelle directe avec Arlequin, le personnage famélique, indigent et toujours prompt à faire des conneries plus grosses que lui dans la tradition de la Commedia dell’arte.
Gepetto décida donc d’élever Pinocchio comme un vrai petit garçon : il lui confectionna des habits car, aussi étrange que cela puisse paraitre, ils ne vivaient pas dans un bled naturiste, et vendit même son manteau pour lui acheter les bouquins nécessaires à sa scolarisation. Cependant, voyant bien la propension de son fils adoptif à accomplir moult actions minables dans la lignée de son alter-ego théâtral, il confia à son pote le Grillon le soin de veiller discrètement sur lui en son absence parce qu’il était vieux et sage...
Sage, d’accord, mais si l’on considère que la durée de vie d’un grillon est d’environ un an, sa vieillesse semble subitement tout à fait relative (bon après c’est peut-être différent pour les grillons doués de parole)... Et oui : Gepetto était pote avec un grillon, ce qui est parfaitement normal pour quelqu’un qui possède une bûche qui chante.
Pinocchio se rendit donc à l’école muni de ses livres et de son AVS orthoptère. Mais, chemin faisant, il fut inexorablement attiré par un théâtre de marionnettes ambulant. Le Grillon tenta bien de l’en dissuader et de lui rappeler son objectif premier mais il se mangea un low-kick rotatif qui le mit immédiatement KO.
Pinocchio se rendit donc au spectacle, paya son entrée en vendant ses manuels scolaires (le troc était totalement d’usage dans son village) et pénétra dans le théâtre. Quelle ne fut pas sa joie et sa surprise de découvrir sur scène trois de ses semblables ! Car il n’y avait étrangement que peu d’enfant-bois parmi la population locale...
Il rejoignit alors sur scène les marionnettes d’Arlequin, Colombine et Polichinelle qui furent elles aussi ravies de découvrir une version sans fil d’un des leurs. S’ensuivit une effusion de joie telle qu’elles en oublièrent de jouer leurs rôles respectifs et que la représentation fut gâchée. Les spectateurs mécontents quittèrent la salle en exigeant le remboursement de leurs places. Du coup, le propriétaire du théâtre s’empara de Pinocchio et l’enferma dans une cage pour le brûler plus tard car, comme il n’avait visiblement aucun sens du commerce, le fait de pouvoir intégrer de force à ses prochains spectacles dans les villages suivants une marionnette tout aussi enchantée que les siennes mais wifi et ainsi renflouer largement ses caisses du manque à gagner causé par ce léger happening matinal ne lui traversa absolument pas l’esprit.
Le petit Pantin, effrayé, se mit à chouiner et à appeler à l’aide. Là, une fée bleue qui sortait du bar à absinthe avoisinant, dérangée par ses suppliques, apparut. Il lui expliqua qu’il voulait aller à l’école et qu’un sale type l’avait jeté dans une cage, ce qui, techniquement, s’appelle une mensonge par omission. Sauf qu’à mesure que Pinocchio mentait, son nez s’allongeait ! La fée ayant le sens de la formule et de la métaphore, elle lui fit remarquer que son mensonge se voyait comme le nez au milieu de la figure (*badum tss*). Alors le petit pantin pleura et avoua. Prise de pitié, la fée le libéra et il lui promit de ne jamais recommencer.
Mais quelques jours plus tard, toujours en se rendant à l’école, Pinocchio croisa la route d’un chat et d’un renard (c’est fou comme ce chemin était mal fréquenté). Ils l’appelèrent (on a dit qu’on ne polémiquerait pas sur les animaux qui parlent sans quoi on ne s’en sortirait pas) et lui proposèrent de grimper dans leur camionnette conduite par Émile Louis pour l’emmener au fameux Pays des jouets. Mais le petit pantin se souvint des sages paroles du Grillon, celui-là-même qui n’avait pas survécu à leur altercation quelques jours auparavant. Il refusa donc, tout d’abord, pour finalement accepter parce que #YouOnlyLiveOnce après tout.
Le petit insecticide se retrouva donc embarqué avec d’autres enfants crédules et désobéissants. Ils arrivèrent ainsi au Pays des jouets qui ressemblait à s’y méprendre à une énorme fête foraine. Après trois jours d’orgie passés à s’amuser et à se goinfrer, il se réveilla avec deux grandes oreilles, un museau et une queue comme d’autres se réveillent enceinte, sans culotte, dans leur vomi, avec une bite dessinée au marqueur sur le front.
De plus, il était entouré d’ânes ! Effrayé à nouveau, il voulut crier mais se mit à braire, ce qui le paniqua d’autant plus. Quand il eut enfin compris que le son émanait de ses propres cordes vocales et qu’il arrêta de tourbillonner sur lui-même, Emile Louis tenta de le choper et de l’emporter pour le vendre à un cirque...
Parce qu’un âne c’était nettement plus bankable qu’un pantin vivant... Ou bien les ânes c’était un truc carrément incroyable et pas courant dans l’Italie de l’Ottocento contrairement aux objets magiques et enchantés ?
Bref, comprenant enfin quel funeste destin allait lui causer son énième désobéissance, il fit une ruade qui envoya valdinguer Mimile et s’enfuit à tire-d’aile. Le petit Pantin se mit à nouveau à chouiner et à appeler à l’aide... et la fée bleue, une nouvelle fois dérangée en plein milieu d’une biture, apparut.
Bon, l’histoire ne le dit pas mais gageons qu’à un moment donné la fée prit pitié du gamin-âne et lui redonna forme pantinesque, ne serait-ce que pour faciliter la communication car elle n’était pas fluent en braiment.
Pinocchio lui expliqua alors qu’il était désolé, qu’il avait compris son erreur, qu’il était bien puni, qu’il ne le ferait plus et qu’il voulait retourner chez son père. Mais la fée torchée ne put que lui annoncer le décès plus que probable de Gepetto, avalé par la Baleine Bleue tandis qu’il était parti à la recherche du petit pantin.
Qu’à cela ne tienne : Pinocchio, qui avait sans doute lu LE PETIT CHAPERON ROUGE et qui connaissait donc la capacité des prédateurs à gober tout rond leurs proies sans les mâcher ainsi que celle des proies à survivre à une bonne douche de sucs gastriques, partit à la recherche de son créateur.
Il marcha longtemps......... jusqu’à la mer.
Puis il nagea longtemps.......... jusqu’à la baleine, qui l’avala à son tour. Arrivé dans l’estomac du très gros mammifère marin, il retrouva Gepetto qui, comme au début du conte, se faisait chier comme un rat mort.
Joie, câlins et bisous, l’homme et le jouet laissèrent éclater liesse et manifestations d’affection. Mais la parenthèse enchantée fut de courte durée car il leur fallait trouver un moyen de sortir de leur prison de chair. Pinocchio, voyant les débris d’épaves qui jonchaient le sol immergé de la baleine, eut une magnifique idée de merde : ils allaient allumer un feu pour faire éternuer l’animal ce qui les expulseraient immédiatement lui, son père, un coffre au trésor et quelques bancs de poiscaille plus ou moins en décomposition.
Confondant ainsi allègrement système digestif et respiratoire et faisant fi de toute forme de logique, ils suivirent à la lettre le plan du pantin : ils réussirent providentiellement à faire flamber des planches pourries et vermoulues sans aucun outil incendiaire.
La baleine éternua, Gepetto et Pinocchio furent projetés à la flotte, l’ingénierie et l’anatomie en prirent un sacré coup, ils s’éloignèrent à la nage de la baleine en feu qui décéda sans nul doute dans d’atroces souffrances quelques heures plus tard, ils essuyèrent une tempête, s’en sortirent miraculeusement vivants et s’en retournèrent chez eux.
Là, Pinocchio promit d’être sage, docile et obéissant et, pour le récompenser d’avoir fait preuve de cruauté envers au moins deux animaux, la fée bleue, décidément tout à fait rationnelle, le métamorphosa en vrai petit garçon qui pourrait donc grandir, se reproduire et mourir, pour la plus grande joie de son vieux père adoptif.