11 Novembre 2018
Il était une fois un prince très vaguement obsessionnel, qui n’avait qu’une hâte : trouver chaussure à son pied, couvercle à son pot, miel à son couscous, étui à son cig... On s’égare.
Mais quand on dit « chaussure à son pied » on ne parle pas de son collègue fétichiste de CENDRILLON. Néanmoins, on peut lui reconnaître un point commun : comme lui, il ne foutait pas grand-chose de ses journées à part parcourir le royaume à la recherche d’une gonzesse dans le but ultime de la faire sienne.
Mais notre prince était bien emmerdé : après avoir écumé les bals, les magasins, les bars, les boites de nuits, les cinémas, les bibliothèques, les coins à champignons et tous les autres endroits où l’on trouve des princesses évoluant dans leur milieu naturel, aucune ne trouvait grâce à ses yeux car elles avaient toutes un truc qui déconnait.
C’est qu’en effet, le gredin cherchait une vraie princesse !
Une vraie princesse ?... Une vraie princesse... Non mais c’est quoi d’abord une VRAIE princesse ?!?
Une nana qui aurait, outre un pedigree forcément nobiliaire et un respect du protocole ad hoc (parce que, par définition, une princesse c’est quand même vachement la fille d’un roi et d’une reine), une beauté reconnue de tous (comme si c’était seulement possible) ? De beaux cheveux longs ? Courts ? Lisses ? Frisés ? Une nana intelligente ? Drôle ? Cultivée ? Libre ? Servile ? Taiseuse ? Grande ? Petite ? Jeune ? Expérimentée ? Avec de belles robes ? De beaux bijoux ?...
Une nana riche donc ? Une nana qui répondrait à tous les standards de la féminité ? Une nana qui sentirait bon la violette et qui ne ferait jamais caca ? Une nana qui cocherait toutes les cases stéréotypées d’un hypothétique cahier des charges de la VRAIE princesse ?
Et puis, il existerait donc de fausses princesses ? Des princesses en mousse ? Des princesses moches ? Des princesses grosses ? Des princesses maigres ? Des princesses connes ?...
Et selon quels putain de critères je vous prie ?
Parce que c’est bien beau de balancer ce genre de pavé dans la mare mais l’humanité doit savoir :
Et puis d’ailleurs, qui il est lui pour déterminer les nanas qui mériteraient le titre de « vraie princesse » ? En quoi serait-il un garant du bon goût, un justicier du savoir-vivre, du savoir-être et paraître ?
Parce qu’on ne parle pas ici de LA vraie princesse ou de SA vraie princesse, la sienne, l’élue, la seule, l’unique, zi only ouane, ce qui aurait pu être mignon et choupi et un peu moins misogyne, un peu moins « salon de l’agriculture » (ou Miss France, ce qui est un peu pareil). On parle bien d’UNE vraie princesse ce qui revêt immédiatement un caractère universel que notre cher prince peut, avec Andersen, se foutre cordialement au cul.
Bref, une chose est sure c’est que le prince, quant à lui, avait toutes les caractéristiques du VRAI connard. Et de sa tournée des meufs, il rentra donc broucouille, comme on le dit dans le bouchonnois.
Dépité, malheureux, désœuvré et la queue basse il errait à la nuit tombée dans les longs couloirs du château lorsqu’un orage épouvantable éclata. C’est alors qu’une jeune femme trempée, dégoulinante, le poil collé et le mascara aux maxillaires, tambourina à la herse. Elle se présenta comme une princesse et personne ne jugea nécessaire de faire vérifier son identité par un loufiat des services secrets ni de chercher à comprendre ce qu’elle foutait dans le coin seule, en pleine nuit et sous la flotte. On décida plutôt de l’héberger pour la nuit.
La reine, qui visiblement n’était pas du tout une mère abusive (ni une VRAIE connasse... les chiens faisant rarement des chats), s’empressa d’aller placer sur le sommier du lit sur lequel la naufragée de l’orage allait coucher, un petit pois qu’elle surmonta de 20 matelas (la reine faisait visiblement pas mal de muscu) et comme ça n’était pas suffisant, de 20 édredons.
Bon, ça ne choqua pas plus que ça la gueuse de dormir avec une telle épaisseur sous le cul... Elle ne fut pas non plus surprise de la hauteur sous plafond de la chambre, suffisamment grande pour qu’on puisse y empiler autant de matelas, ce qui tendrait d’ailleurs à justifier la présence des 20 édredons, la pièce étant tout bonnement impossible à chauffer.
Le lendemain, au petit déjeuner, lorsque la reine-mère demanda à son invitée providentielle si elle avait bien dormi, cette dernière lui répondit qu’elle venait de passer la pire nuit de sa vie tant la literie était merdique, qu’elle en avait même des ecchymoses partout.
Le roi, sa femme et le p’tit prince éructèrent de joie dans une scène proprement surréaliste qui n’étonna nullement la princesse dont l’impassibilité forçait l’admiration. Et cette effusion de liesse avait une raison simple : ils avaient enfin trouvé une VRAIE princesse.
Donc une vraie princesse serait une nana sortie de nulle part, possiblement serial killer, souffrant de fibromyalgie et de carences éducatives graves l’empêchant de respecter les règles élémentaires de politesse qui voudraient que lorsque la personne qui vous offre le gîte et le couvert, vous sauvant par là-même d’une mort certaine par hypothermie, vous demande si vous avez passé une bonne nuit, vous lui répondiez par l’affirmative même si ça n’est pas vrai (un mensonge de convenance que ça s’appelle dans le jargon).
À moins que le petit pois n’y soit pour rien du tout (ce qui ne serait pas, en soi, une véritable surprise) et qu’elle ait en réalité été violée par tout individu portant penis ou objet oblong dans le château... Et dans ce cas, une vraie princesse serait une jeune femme souffrant de lourdes séquelles physiques et psychiques, dont un évident syndrome de stress post-traumatique qui la pousserait à nier l’existence du multiple crime dont elle a été victime en reportant la cause de ses contusions sur un improbable légume vert.
Ainsi, le pois finit sa triste vie dans le musée du château et le prince épousa instamment cette vraie princesse qui n’avait donc pas nécessairement d’ascendance à particule, car il suffisait simplement qu’elle souffrît d’une hypersensibilité épidermique, qu’elle n’eut aucun filtre social et qu’elle consentît à épouser un type qu’elle ne connaissait absolument pas, soit par pur arrivisme (s’était-elle vraiment retrouvée perdue pile-poil devant ce château ce soir-là par hasard ?) soit par séquestration (l’amour, une attirance physique mutuelle, la complicité, une certaine compatibilité d’humeur, des passions et des projets communs étant des détails tout à fait dérisoires).
L’histoire ne précise pas s’ils eurent beaucoup d’enfants ou si tout se termina dans un bain de sang lorsque la vraie princesse massacra toute la famille royale pour se libérer du joug de ses geôliers tortionnaires, ou par simple goût du meurtre inhérent à sa fonction de tueuse en série se déplaçant de château en château, les nuits d’orage.