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LE VILAIN PETIT CANARD d’à-peu-près Hans Christian Andersen...

Initiation au racisme et paie ton vivre-ensemble.
LE VILAIN PETIT CANARD d’à-peu-près Hans Christian Andersen...

Par un beau jour d’été, une cane s’emmerdait sec en couvant ses œufs. Elle n’avait qu’une hâte : les voir éclore afin de pouvoir de nouveau aller glandouiller à la plage (la malheureuse n’était pas très au fait de ce que la maternité impliquait).

Finalement, ses canetons naquirent. Un puis deux puis trois... tous caquetant dans un vacarme assourdissant qui lui fit aussitôt regretter le temps où elle pensait s’ennuyer, la pauvresse. Elle les compta et les recompta encore car ils n’étaient pas tous là : il manquait un œuf qui n’avait pas encore éclos. Contrariée par ce fâcheux contre-temps, elle se remit à couver tandis que le reste de sa progéniture s’attelait à faire n’importe quoi. Le lendemain, épuisée nerveusement d’avoir dû gueuler comme un putois pour obtenir un peu de calme, elle fut soulagée d’accueillir enfin son dernier né. Mais quelle ne fut pas sa stupeur lorsqu’elle découvrit une espèce de grand machin gris et si moche qu’elle pensa que c’était un dindon (ce qui n’est tout de même pas très sympa pour les dindons par ailleurs).

LE VILAIN PETIT CANARD d’à-peu-près Hans Christian Andersen...

Le lendemain, n’y tenant plus, elle décida d’emmener sa marmaille se défouler dans l’étang. Tous nageaient à merveille, même le caneton gris, tant et si bien qu’elle en conclut qu’il ne pouvait s’agir d’un dindon puisque, en plus d’être affreux, ces oiseaux possèdaient la particularité d’être des branques dans à-peu-près tous les domaines (ou bien la cane ne pouvait-elle simplement pas les saquer).

Elle se convainquit que le plus grand de ses petits canards n’était pas si horrible et décida de l’accepter. Elle embarqua ainsi toute sa tribu pour la présenter officiellement à leurs congénères de la ferme. Dès leur arrivée, elle se mit à briefer ses petits pour qu’ils ne commettent pas d’impair dans cet univers ultra codifié qu’est notoirement la basse-cour. Ils durent ainsi faire la révérence devant le plus gros, le plus beau et par conséquent le plus respectable des canards. Ce dernier complimenta la cane... à un ou deux détails près :

— Vous avez là des enfants magnifiques... sauf celui-là : celui-là, il ressemble à rien, il est moche.

Ce canard inspirait visiblement le respect pour sa grande bienveillance qui n’avait d’égal que son intelligence, et non pour de basses raisons morpho-esthétiques.

— Oui, je sais, il n’est pas très jojo. Mais il nage très bien et il est très gentil !
— Ah bah vu la gueule qu’il se paie, il manquerait plus qu’il morde !
— Vous ne seriez pas parent avec La Belle de Madame Leprince de Beaumont ?
— Euh... non, pourquoi ?

Oh, pour rien, pour rien.

Sur ces bonnes paroles manichéennes venues d’un monde peuplé uniquement de moches et gentils et de beaux et méchants, la cane décréta que ses canetons étaient désormais chez eux... enfin, à part peut-être le petit dernier.

À partir de là, balance ton canard, tes poulets, ton coq et même ton chat, la vie du petit caneton gris devint vite un enfer : il fut frappé, molesté et même mordu par ses pairs (qui n’avaient pourtant pas de dents), les autres et sa fratrie (chose socialement acceptable car ils étaient esthétiquement conformes, eux). Fratrie qui fomenta même une tentative d’assassinat à son endroit.

Parfaitement m’sieur, dame : ses frères et sœurs essayèrent carrément de le faire buter par le chat.

Harassé et désespéré par toutes ces agressions, ce harcèlement en milieu agraire et le découragement de sa mère qui aurait préféré qu’il ne fût jamais venu au monde, il prit la plus sage des décisions et la fuite.

Il arriva ainsi au marécage où transitaient des canards sauvages. Malgré sa laideur, ils acceptèrent qu’il demeure avec eux à la condition qu’il ne colle pas de gosse à une de leurs sœurs parce qu’ils avaient beau être magnanimes, leur mansuétude avait ses limites.

Soumis mais tout de même légèrement vexé, le caneton s’enfuit comme un voleur deux jours plus tard. Il trouva refuge dans la bicoque d’une vieille myope qui le prit pour une cane et décida de le garder afin d’en boulotter les œufs. Cependant, aussi surprenant que cela puisse paraître, le canard ne pondit jamais rien. Et après les tortures physiques, le rejet et l’humiliation vint le tour de la dévalorisation. En effet, le chat et la poule qui vivaient également aux crochets de la vieille zinzin passaient le plus clair de leur temps à lui renvoyer son inanité à la gueule : il ne savait ni pondre (et pour cause), ni faire le dos rond, ni ronronner, ni lancer des éclairs si on le caressait à rebrousse-poil... Parce qu’il est évident que ces aptitudes toutes félines étaient de la plus haute utilité. Et notre héros malheureux d’avouer un jour à la poule :

— J’aimerais aller nager.
— Ah mais non seulement tu sers à rien mais en plus t’as des passions de merde !

Notons que le caneton n’était désormais plus railler pour l’ingratitude de son physique... mais pour l’entièreté de son être, ce qui n’est guère mieux au final.

Il prit dès lors la décision de partir encore une fois avant de sombrer dans une totale dépression.

L’automne succéda à l’été et l’hiver à l’automne. Le petit canard errait sans but dans la neige, s’efforçant de ne jamais rester immobile afin de ne pas mourir de froid. Son seul réconfort vint des cygnes qu’il vit voler un jour en direction des pays chauds car il avait le cœur pur et qu’il savait voir la beauté du Monde, lui qui était si laid. Mais ce qui devait arriver, arriva : exténué, il se retrouva un jour prisonnier de la glace. Il fut secouru par un gentil paysan providentiel qui l’installa chez lui, bien au chaud auprès de l’âtre, sans même envisager de l’engraisser afin d’en déguster le foie à Noël. Cependant, bien trop habitué à la cruauté et à la méchanceté, le canard quitta prestement la maison en cachette dès qu’il se fut décongelé.

Il passa l’hiver tant bien que mal, se procurant de quoi manger sans doute grâce aux passes qu’il effectuait dans les bois. Et un beau jour, le printemps fut de retour et avec lui les beaux cygnes blancs. N’ayant rien à perdre mais possèdant tout de même un sens aigu du mélodrame et nourrissant un sacré complexe de persécution, il décida d’aller leur parler quitte à ce qu’ils le tuent car il n’en pouvait plus de sa vie de misère et de solitude.

— Plutôt crever que de retourner parmi les sociopathes de la basse-cour !

se dit-il pour se convaincre d’affronter son destin.

Il s’approcha donc du gang de volaille et baissa la tête en attendant la mort. Mais ce faisant, il aperçut son reflet dans l’eau. Et tel Simon Jérémi qui n’était pas vraiment acteur mais projectionniste, notre martyr à plumes n’était pas vraiment un canard : c’était un cygne !

Ainsi, outre l’aspect totalement subjectif des concepts de beauté et de mochitude, le petit cygne n’était pas vraiment laid : il appartenait tout bonnement à une autre espèce que les canards !

Euh... Je ne sais pas si ça n’est pas pire au niveau du message en fait.

Ses semblables lui firent des fêtes et les enfants ornithophiles qui passaient par là (et qui connaissaient apparemment chaque individu du troupeau par son petit nom) décrétèrent que le nouveau cygne était le plus beau. Comme il parlait l’humain couramment, il fut rempli de fierté et reprit immédiatement confiance en lui. Mais, comme tout ex-moche de teen-movie qui devient beau dès lors qu’il enlève ses lunettes et qu’il s’achète des fringues, il ne devint jamais présomptueux pour autant car il savait ce que c’était que d’être rejeté pour son apparence physique... Il donna ainsi de l’espoir à tous les enfants laids et les conforta dans l’idée que la beauté demeure une qualité essentielle pour atteindre le bonheur.

LE VILAIN PETIT CANARD d’à-peu-près Hans Christian Andersen...

Moralité : pour vivre heureux, ne soyons pas rejetés. Pour ne pas être rejeté, soyons beaux. Et pour être beau, vivons... dans notre communauté ?

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