31 Décembre 2019
Il était une fois un meunier qui avait trois fils, un moulin, un âne et un chat. À sa mort, l’aîné hérita du moulin, le cadet de l’âne et le benjamin du chat, ce qui reste tout de même nettement moins classe qu’une pierre de résurrection, une baguette de sureau et une cape d’invisibilité.
Le plus jeune de la fratrie se sentit ainsi légèrement lésé : ses deux frères allaient pouvoir continuer à exercer la profession paternelle et transporter la farine pour la vendre au marché grâce à l’âne, tandis que lui allait juste pouvoir bouffer son chat et s’en faire un manchon au lieu de s’associer tout simplement à ses frangins pour faire prospérer la petite entreprise familiale, en utilisant accessoirement son chat afin de chasser les nuisibles qui pourraient refiler la peste à leurs clients en contaminant leur production (rôle qu’il devait d’ailleurs sans doute tenir jusqu’alors)...
Mais non ! Monsieur préférait se lamenter « et gnagnagna moi j’ai eu qu’un chat, et gnagnagna je voulais un scooter, et gneugneugneu mon père il est trop nul en plus d’être trop mort ». Au lieu de se sortir les doigts du séant et de se trouver un autre boulot puisque, visiblement, meunier associé n’était pas envisageable, le jeune homme était donc fermement occupé à son passe-temps favori (se pleurer dessus), lorsque son chat qui, étrangement, ne tenait pas plus que ça à finir en mi-moufle mi-rôti et re-mi-moufle, lui tint à peu près ce langage :
Reste donc là à glandouiller. Tu s’occupes de rien, je s’occupe de tout. Fournis-moi juste un sac et des bottes.
Et c’est ce qu’il fit, pas un seul instant surpris ou interloqué d’entendre son chat parler, ni conscient du pognon qu’un pareil prodige pourrait lui rapporter. Il lui offrit ainsi un sac de toile et une très seyante paire de bottes... Car soit le chat faisait la même pointure que son maître (ce qui donnait de très grandes pattes ou de tout petits pieds), soit le fils du meunier possédait, allez savoir comment et pourquoi, des godasses en taille chat.
Le chat remplit son sac de son et s’en alla donc faire un tour en forêt. Là, il s’allongea et fit le mort. Bientôt, un lapin crétin passa par là et commença à se goinfrer quand, tout à coup, tout à trac, le chat botté ferma le sac, emprisonnant le jeune léporidé imprudent.
Après lui avoir éclaté sa petite gueule, le félin malin se rendit au château du roi le plus proche et lui offrit ce qui restait du lapin de la part de son maître le Marquis de Carabas. Le roi, nullement surpris ou interloqué de voir un chat cul nu mais chaussé et de l’entendre parler, l’enjoignit à remercier chaleureusement son maître qui n’était autre, en réalité, que l’autre glandeur.
Le lendemain, le chat recommença en chopant deux perdrix, une pour le roi, une pour son maître parce que bon, c’était bien beau de faire de la lèche auprès des grands de ce monde mais il fallait peut-être également songer à nourrir la feignasse, bien trop occupée à se morfondre au pied d’un arbre pour pouvoir trouver de quoi s’alimenter.
Et ainsi de suite. Au bout d’un moment, quand le chat fut devenu compagnon de beuveries et pourvoyeur officieux de gibier du roi, il apprit que ce dernier projetait de partir se promener en carrosse avec sa fille, la princesse. Il s’en retourna prestement vers son maître, toujours accroupi sous son arbre au milieu des carcasses d’animaux morts dont il s’était restauré et lui dit :
Maître, ne posez pas de questions. Venez donc vous baigner à poil dans l’étang qui borde la route du château.
Et c’est ce qu’il fit, parce qu’il n’avait pas grand-chose d’autre à foutre de toutes façons. Lorsque le chat vit le carrosse arriver, il se jeta au milieu de la route en hurlant :
Au secours ! Voilà mon maître, le marquis de Carabas, qui se noie !
Ni une ni deux, le roi ayant reconnu le nom et le chat (car c’était un peu le seul doué de parole et chaussé de bottes qu’il connaissait), il ordonna à ses loufiats d’aller repêcher le fils du meunier. Il lui prêta ensuite des vêtements car il partait toujours en vadrouille avec une partie de son dressing, juste au cas où (en effet, toujours selon le chat, des voleurs avaient subtilisé les habits du faux marquis durant sa noyade, alors que c’était évidemment lui qui les lui avait planqués, petit coquinou subreptice).
La princesse, ayant eu tout loisir d’observer l’anatomie du fils du meunier tout nu puis tout habillé, le trouva fort gouleyant et fort bien accoutré. Elle en tomba donc logiquement immédiatement amoureuse, faisant fi de toute attirance intellectuelle ou culturelle et de tout centre d’intérêt commun (sans compter le fait que le jeune inconnu portait les fringues de son père et que cet attrait vestimentaire n’était absolument pas malsain).
Le fils du meunier quant à lui... bah on ne lui demanda pas vraiment son avis : il était pauvre et un peu con donc il n’allait tout de même pas faire la fine bouche en refusant les avances d’une princesse, aussi futile soit-elle.
Le chat, voyant le poisson ferré, galopa devant le carrosse dans lequel le roi et la princesse continuaient leur promenade, flanqués du jeune sauvé des eaux que la chaudasse avait convié. Sur le chemin, le matou croisa des paysans et leur ordonna de répondre au roi que leurs terres appartenaient au marquis de Carabas, sous peine de se faire hacher menu.
Au lieu d’être un minimum surpris d’entendre parler un animal vêtu d’une simple paire de bottes et de l’envoyer chier dans la foulée, ils acquiescèrent. Et lorsque le roi leur demanda à qui appartenaient ces terres, ils lui répondirent tout pareil que ce que le chat leur avait dit de dire. Pourquoi donc ? Et bien parce qu’ils étaient tout simplement les vassaux d’un ogre qui les terrorisait. Du coup, ils pouvaient bien prendre la menace au sérieux, le chat étant possiblement un émissaire de leur seigneur qui aurait décrété un beau matin qu’il fallait désormais l’appeler « marquis de Carabas » parce que ça sonnait chic et emphatique, et qu’il aimait bien se la pétouiller de temps en temps.
De son côté, le minet courut jusqu’au château de l’ogre qui n’était pas uniquement anthropophage mais aussi métamorphe. Il décida de lui lancer un défi :
– Cher Monseigneur bouffeur de gens, on m’a dit que vous saviez vous transformer en divers animaux. Est-ce vrai ?
– Bien sûr, félin botté et parlant !
Et hop ! L’ogre se changea en lion.
– Waouh ! Ah ouais, quand même ! dit le chat admiratif quoique suffisamment effrayé pour se jucher sur le toit. Et sinon, vous savez vous métamorphoser en rat ou en souris ?
– Pfffff ! Tu m’as pris pour un amateur ? répondit l’ogre vexé qu’on puisse mettre en doute ses talents de transformiste.
Et le voilà mué en une toute petite souris, toute mignonne, trottinant sur le plancher. Tout à coup, tout à trac, le chat botté la croqua dans un crac. Il courut ensuite au devant du carrosse et annonça fièrement au roi qu’il était le bienvenu dans le château du marquis de Carabas.
Comme le châtelain récemment décédé, dont la grandeur de l’appétit était inhérente à sa fonction d’ogre, s’apprêtait à manger, un banquet était déjà servi. Le roi, la princesse et le fils du meunier festoyèrent à tel point que le roi offrit sans hésiter la main de sa fille au jeune rescapé.
Jeune rescapé qui cessa étonnamment de se plaindre car quand on ne sait rien faire de ses dix doigts (et qu’on ne veut surtout pas apprendre), qu’on n’a aucune ambition si ce n’est ne pas bosser en criant à l’injustice, quel plus beau projet de vie peut-on rêver que de devenir michetonneur... grâce à un chat... et à la complaisance tacite de silencieux complices traumatisés ?
Le chat devint ensuite grand seigneur à son tour car quand on parle et qu’on porte des bottes, on peut bien gérer une partie du royaume... Et ce même si, par ailleurs, on est tout nu.
Moralité :
L’habit ne fait pas le moine.