22 Mai 2017
Cannes, premier jour.
OKJA c'est le nom d'un Super-cochon. Ou plutôt d'une Super-cochonne si on veut vraiment être précis. Mais c'est vrai que dit comme ça, ça sonne nettement moins conte écolo-veggie, étrangement... Ou alors vous avez des mœurs vraiment bizarres que non seulement la morale mais aussi la loi réprouvent.
Et tout commence avec Tilda Swinton qui porte un appareil dentaire. Mais en vrai, elle est Lucy Mirando, PDG des industries agroalimentaires Mirando (comme son nom l'indique), et elle explique à un parterre de journalistes que son entreprise a découvert au Chili une race de cochon hors-norme qui pourrait mettre un terme à la faim dans le Monde (enfin à part peut-être pour certains croyants pour qui ça reste assez moyennement permis d'en manger). Plus grand, plus beau, plus fort et moins gourmand, ce cochon-là est un Super-cochon (avec une cape). Alors la Lucy et ses potes en ont sélectionné 26 spécimens qu'ils décident d'envoyer aux 26 coins du globe (sauf dans les zones à majorité non-cochonphage, faut pas déconner) pour découvrir quel écosystème et quelle méthode d'élevage peuvent au mieux leur convenir. Et ce n'est qu'au bout de 10 ans que sera annoncé à New-York :
LE VAINQUEUR DU GRAND PRIX DU MEILLEUR SUPEEEEEEER-COCHON !!!!!!!!
10 ans plus tard nous retrouvons donc un de ces spécimens, baguenaudant en toute liberté dans les montagnes de la Corée du Sud en compagnie de la jeune Mija. Et ce spécimen n'est autre que OKJA !
Exactement comme le titre du film !!!
Et comme on est 10 ans plus tard et que Tilda Swinton a terminé son traitement en orthodontie, les gens de Mirando Industry vont venir reprendre le bestiau. Et Mija va pas être tout à fait d'accord. Et puis il y a un bande d'activistes écolos pacifistes vachement sympas qui va s'en mêler. Et puis plein d'autres trucs aussi...
OKJA, c'est la première coproduction cinématographique signée Netflix à avoir été sélectionnée et projetée au Festival International du Film de Cannes (le FIF), juste avant THE MEYEROWITZ STORIES quelques jours plus tard. Et c'est précédé par son sulfureux parfum de polémique à deux sesterces (car il n'est pas prévu que le film sorte en salle) que le logo de sa société de distribution fut hué lors de sa présentation au Palais des Festivals parce que :
Bouuuuhhhh Netflix !!!! Cacaaaaaaaah Netflix !!!! Dégueuuuuuuuuuuuhhhhh !!!!!!!!!
Mais c'est vrai que :
Bouuuuhhhh les séries !!!! Cacaaaaaaaah les séries !!!! Dégueuuuuuuuuuuuhhhhh !!!!!!!!!
– Nan mais attends, c'est Lynch quoi, c'est pas comparable.
– Ouais, et Fincher c'est du poulet ?!?
Et même si sa sortie au ciné n'est donc toujours pas d'actualité, ce qui est tout de même dommage (en dehors de toute controverse et d'un point de vue strictement sensoriel et empirique), OKJA n'a définitivement rien d'un téléfilm. Et c'est même un très bon film pour les gosses. Ou plutôt pour les adultes qui ont gardé leur âme de gosses (et pas celle de ceux qu'on conserve au congélo, parce que là aussi, la morale, la loi, tout ça...).
Bien que la séquence de l'abattoir soit peut-être un poil rude pour les plus jeunes et limite insoutenable pour les âmes sensibles... Et celle du viol et de la répression par l'armée aussi d'ailleurs. Parce que voilà, c'est ça qui est emmerdant : si l'on considère que c'est un film qui s'adresse uniquement aux grandes personnes, on risque fort d'être désappointé. Voire déconcerté. Mais la violence visuelle et symbolique de certaines scènes ne peut pas non plus être mise entre toutes les rétines et dans tous les cerveaux qu'il y a derrière.
Parce qu'en plus, en tant qu'adulte, il faut tout de même réussir à occulter la présence de Gus Fring de Pollos Hermanos et sa duplicité, ainsi que la rivalité des deux sœurs dont le réalisateur ne fait pas grand-chose, l'insistance très légèrement godwienne sur l'iconographie des camps de concentration (au point d'avoir l'impression d'entendre Mija répéter "j'aurais pu en sauver plus") et l'outre-perf à peine caricaturale de Jake Gyllenhaal. Toutes ces petites (ou grosses) imperfections qui plombent un peu et par moment l'ensemble.
Et pourtant, à mon humble avis, ça fonctionne (en tout cas sur moi ça a fonctionné). Alors est-ce parce que je suis traumatisée par tout ce qui a trait au meurtre de masse particulièrement organisé qu'au moment où Mija s'en va en longeant l'enclos et où l'on sent très distinctement mourir le peu d'enfance et d'innocence qui restait en elle, j'avais envie de chialer ma race ? Ou est-ce tout simplement à cause de la ressemblance frappante entre ma fille et l'héroïne quadrupède du film que j'étais à bloc comme une petite pucelle argentée ?
Nul ne le sait mais j'espère obtenir une ébauche de réponse le 28 juin prochain, sur Netflix, après test sur Lougaroubignole, Sorbubulle et Zombigroot. Ou pas. Surtout que le film est finalement interdit au moins de 16 ans et qu'aucun d'entre eux n'a encore atteint cet âge pour le moins canonique.
En bref, OKJA est un film dense qui manie aussi bien le cynisme que l'émotion et cet humour mu par l'énergie du désespoir, qui, sous-couvert de dénoncer les dérives du système agroalimentaire, parle de plein d'autres choses, et qui donnerait presque envie de devenir végétarien et de défendre la cause des animaux... S'ils ne cherchaient pas la merde en étant aussi délicieux.
Contrairement au Palais des Festivals, au Theatre de la Licorne de Cannes La Bocca, le logo Netflix ne fut pas hué. Il fut même ovationné. Tout comme celui de Plan B Entertainment. Et puis le nom du réalisateur. Et celui du producteur, du coproducteur, du producteur exécutif, du deuxième producteur exécutif, ainsi que tous les noms qui apparaîtront à l'écran jusqu'à ce que le film commence. Parce que quand on est con, on est con (air connu).
Ovation qui reprit une fois le film fini par ailleurs. Et puis il y a eu cette fille rencontrée aux chiottes après la projection et qui pleurait à chaudes larmes que j'ai eu envie de prendre dans mes bras, en lui disant que tout allait bien se passer et :
Viens, on va se taper un sandwich au jambon.