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UNE HISTOIRE DE FOU de Robert Guediguian [critique]

Tout commence en 1921 par l'assassinat en pleine rue à Berlin du turc Talaat Pacha, principal instigateur du génocide arménien, par Soghomon Tehlirian, survivant de ce même génocide et ressemblant à s'y méprendre à un des fils Stevenin.

UNE HISTOIRE DE FOU de Robert Guediguian [critique]

Ainsi, durant son procès, toujours à Berlin et toujours en 1921, un des protagonistes quelque peu incrédule devant le récit du massacre des arméniens demandera comment l'on peut anéantir un million de personnes en si peu de temps... Ce qui, avec le recul, sonne comme un étrange challenge que les futurs nazis s'empresseront de relever une vingtaine d'années après.

Bref, Tehlirian est acquitté, il devient un héros et le symbole de l'opération Némésis (visant à venger les victimes en exécutant les responsables de l'épuration ethnique). Et tout arménien qui se respecte se devra désormais d'accrocher son portrait dans sa cuisine, son salon, ses chiottes ou sa chambre à coucher.

Quelques 60 ans plus tard, à Marseille, une gentille grand-mère à la rancune tenace berce tendrement sa petite-fille en lui chantonnant sur une melodie sympathique qu'il faut massacrer les turcs sans distinction ni sommation aucune... Cela-dit, on apprendra plus avant que durant sa prime jeunesse en Arménie, cette même mamie fut sauvagement violée un nombre incalculable de fois durant un laps de temps défiant l'entendement et que ses tortionnaires, entre autres exactions, s'amusaient à faire des paris sur le sexe des embryons avant d'éventrer les femmes enceintes. Le sens de la fête quoi. Ce qui peut donc justifier son ressentiment certain envers la Turquie puis que, par ailleurs, souffrant d'un très léger trouble de stress post-traumatique, elle s'improvise conseillère en terrorisme pour son petit-fils Aram qui n'avait pas besoin de ça pour être déjà chaud-patate, contrairement à son père, un peu trop peacefull et prosaïque à son goût.

UNE HISTOIRE DE FOU de Robert Guediguian [critique]

UNE HISTOIRE DE FOU raconte donc les destins croisés de ce même Aram d'un côté, petit-fils de diasporisée arménienne qui, après avoir commis un attentat, part se planquer dans une colo ERASMUS pour terroristes au Liban (avec des palestiniens, des roux de Belfast...), de son papa, l'épicier lâche mais travailleur, sa maman en forme d'Ariane Ascaride, et sa petite sœur insomniaque et traumatisée par sa facétieuse mémé, restés tous les quatre à Marseille et de Gilles, victime parisienne collatérale de son action meurtrière.

UNE HISTOIRE DE FOU de Robert Guediguian [critique]

Le tout largement inspiré du livre du journaliste espagnol José Antonio Gurriárian, LA BOMBE, dans lequel il raconte comment il a été blessé lors d'un attentat à Madrid commis par l'ASALA (l'Armée Secrète Arménienne de Libération de l'Arménie) ce qui le conduira à souffrir d'une variante du syndrome de Stockholm en épousant la cause de ses bourreaux.

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Un film loin du registre de la comédie, donc. Plutôt parmi les meilleurs films sortis cette année pour apprendre des trucs en fait.

Bon, alors, sur le départ, tout le passage à Berlin est plutôt pas mal fichu, avec son noir et blanc d'époque puisqu'en ces temps-là, le cinéma et la vie n'avaient pas encore inventé la couleur. Et l'idée de filmer les journalistes qui appellent leurs rédactions respectives permettant ainsi au spectateur de suivre le cours du procès de Soghomon n'était pas con comme procédé...

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Mais lorsque la couleur revient, à Marseille, dans les années 80... Syrus Shahidi (qui interprète Aram) est certes fort joli de sa personne mais il joue tellement mal la colère, l'indignation et la soif de revanche que le film se met à sonner terriblement faux et qu'on en viendrait presque à prendre la défense des turcs... Et puis après on se renseigne et on s'aperçoit que le gars est plutôt d'origine iranienne et que son surjeu potentiellement héréditaire ne pourrait donc à lui seul expliquer le massacre de ses aïeux, surtout quand ils n'ont rien à voir avec la choucroute. Et on se souvient aussi qu'après tout, ayant eux-mêmes commis Tarkan, les turcs auraient plutôt intérêt à faire les canards.

Alors c'est sûr que si on ajoute à ça Ariane Ascaride qui possède de légères intonations de Marthe Villalonga en plus jeune et en moins hystérique, on atteint quasiment le seuil de la douleur physique. Et c'est typiquement le genre de détails qui peut faire décrocher voire pousser à ne pas aller au bout d'un film. Mais le gros avantage des DVD reçus grâce à Cinetrafic (ou l'inconvénient selon les films mais pas celui-là), c'est que comme on s'engage à en écrire une critique, on se sent obligé de les regarder jusqu'à la fin (honnêteté intellectuelle ou masochisme, à vous de choisir).

UNE HISTOIRE DE FOU de Robert Guediguian [critique]

Et il eut été dommage que je ne le fasse pas car sans ça, je n'aurais pas eu la joie d'apprendre les détails sordides des tortures subies par la mamie. Je n'aurais pas non plus pu noter une nette amélioration dans l'interprétation de Syrus au fur et à mesure de son ratiboisage capillaire (à croire qu'à l'instar de Samson, son mauvais jeu d'acteur était localisé dans ses cheveux... et que le film n'a pas été monté dans l'ordre du tournage puisqu'à un moment donné, au Liban, il fait une petite rechute) ni voir qu'Ariane pouvait gagner en sobriété (voire en dignité). Je n'aurais pas pu constater que quand on se jette corps et âme dans toute la littérature existante sur un fait historique que l'on ne connaît pas afin de comprendre pourquoi on a perdu l'usage de ses jambes, on se doit d'étaler nonchalamment et artistiquement (voire ostensiblement) sur le sol tous les ouvrages que l'on a compulsés, première de couverture apparente pour que le spectateur puisse correctement en lire les titres. Et puis je n'aurais pas su que tout cela ne pouvait que mal finir...

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Mais j'aurais pu le deviner car le film ratisse quand même assez large niveau moral et idéologique entre la justification de la mort d'innocents par la loi du talion, le gentil terroriste repenti, ou le cheminement psychologique de la victime, de la haine au pardon. Parce que le discours du film n'est ni pour ni contre, bien au contraire, tout le monde a un peu raison et tout le monde a un peu tort, avec une sorte d'écho légèrement casse-gueule qui, si l'on extrapole, pourrait tendre à excuser mais pas trop (mais un petit peu quand même) certains événements récents. Et je n'aurais donc pas su, grâce à la dédicace finale du réalisateur à ses amis turcs, qu'il ne faut pas tous les mettre dans le même sac. Mais qu'il faut tout de même que la bête meure... Et que l'homme meure aussi (serait pas suisse d'origine plutôt qu'arménien le Robert ?).

UNE HISTOIRE DE FOU de Robert Guediguian [critique]

Mais ce qui saute vraiment finalement et littéralement à la gueule avec ce film c'est qu'on ne sait rien. Mais rien du tout. Et qu'on a une vision complètement bisounours des arméniens. Que si l'on a vaguement eu connaissance du génocide, c'est surtout à cause de la Turquie qui refuse de le reconnaître et aussi de la chanson d'Aznavour "Pour toi Arménie" qui était en réalité pour les victimes d'un tremblement de Terre mais comme j'étais toute petite au moment des faits j'ai dû un peu tout mélanger les infos.

Et l'on se rend bien compte que ces événements (le massacre comme l'opération Némésis) sont totalement absents des manuels scolaires (ou en tout cas ils l'étaient en France dans les années 80 et 90)... Tout ça pour dire qu'on a beau être lamentablement inculte, ce n'est pas si évident d'être érudit en la matière et qu'on n'a pas été aidé non plus. Et on se sent tout de même drôlement nul.

Mais ça, c'était avant. Parce que maintenant, sans être devenue incollable sur le sujet, grâce à Robert Guédiguian et un peu comme le personnage de Gilles, j'ai eu envie d'en savoir plus. Et même s'il y a encore du boulot, je me couche désormais un peu moins conne qu'hier et ça aussi, c'est une histoire de fou.

UNE HISTOIRE DE FOU de Robert Guediguian [critique]

En bonus, séquence nostalgie et angoisses enfantines (putain, ça nous rajeunit pas tout ça...) :

POUR TOI ARMÉNIE, Charles Aznavour et ses potes (1989)

Outre l'horreur des circonstances dramatiques qui ont conduit à la production de cette chanson et ce souci, incroyable aujourd'hui, de montrer l'entière cruauté toute nue de la réalité dans une simple vidéo musicale, OH-MON-DIEU ! Ce clip... mais ce clip... mais... C'est totalement improbable ! Pourquoi ce zoom sur Julien Clerc ? Pourquoi cette personne dont je ne connais pas le nom regarde-t-elle Nana Mouskouri avec de l'air de lui dire "mais pourquoi tu gueules ?" ? Pourquoi Patrick Sabatier slame-t-il ? Pourquoi Jean-Luc Lahaie pousse-t-il ce pauvre aveugle qui ne lui a rien fait ? Pourquoi Herbert Léonard fait-il le beau-gosse à côté du cadavre d'un enfant ? Pourquoi le groupe Images s'était-il caché derrière ? Pourquoi Dorothée ? Pourquoi Yves Duteil ? Pourquoi une apparition subliminale de Nicoletta entre Johnny Hallyday et Eddy Mitchell ? Et pourquoi Aznavour se prend-il pour un leader soviétique ?... Je m'en vais à présent me rouler en boule dans un coin et intenter un procès à mes parents en vous laissant méditer sur tous ces questionnements métaphysiques. Bisous.

UNE HISTOIRE DE FOU, disponible en DVD avec Diaphana depuis le 5 avril 2016.

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