10 Août 2018
Previously dans la deuxième partie de LA DÉBÂCLE d’Emile Zola :
LA DÉBÂCLE d'Emile Zola [contre-profil d'une œuvre] #2
Previously dans la première partie de LA DÉBÂCLE d'Emile Zola : DEUXIÈME PARTIE. Où il y a des gens qui meurent dans d'atroces souffrances. Plein. CHAPITRE UN, où Weiss pète un câble et se ...
http://www.delacritiquehysterique.com/la-debacle-d-emile-zola-contre-profil-d-une-oeuvre-2
Prosper, qui a survécu à la charge contre les prussiens (son cheval, moins), déserte. Il va donc se réfugier à Remilly, chez le père d’Honoré, le cousin de Maurice, son ami d’enfance. Il réussit à se faire embaucher par le vieux et retrouve Silvine qui s’empresse de lui demander des nouvelles de son fiancé.
Au début, il est pas trop-trop chaud pour lui annoncer qu’Honoré est mort. Déjà parce qu’il n’en est plus sûr et puis aussi parce qu’il redoute un peu le psychodrame qui va immanquablement s’ensuivre... et puis finalement, un fois qu’il est un peu pété :
– Ah oui, au fait, j’oubliais : tu vois ton seul et unique amour ?
– Oui ?
– Celui que tu n’avais pas pu épouser mais qu’au retour de la guerre tu allais enfin te marier avec ?
– Oui ?
– Et ben il est mort.
Silvine brule alors toutes les étapes du deuil et prend la décision d’aller chercher le cadavre sur le champ de bataille. Alors Prosper l’accompagne.
Le père d’Honoré négocie avec le maire pour leur obtenir un laisser-passer et ils partent donc en charrette.
Et leur périple va ressembler à une sorte de « Deuxième Partie Tour », durant lequel ils vont faire escale dans tous les endroits où il y a eu un carnage précédemment dans le roman, histoire d’aller au bout de la démarche naturaliste et de donner à lire tous les détails triviaux et sordides de ce qui se passe après la bataille.
Ainsi, ils traversent tout d’abord Bazeilles où on déblaie les cadavres qui n’ont pas été cramés...
Trois grands tombereaux étaient là, à la file, chargés de morts, de ces tombereaux de la salubrité, que l'on emplit à la pelle, le long des rues, chaque matin, de la desserte de la veille; et, de même, on venait de les emplir de cadavres, les arrêtant à chaque corps que l'on y jetait, repartant avec le gros bruit des roues pour s'arrêter plus loin, parcourant Bazeilles entier, jusqu'à ce que le tas débordât. Ils attendaient, immobiles sur la route, qu'on les conduisît à la décharge publique, au charnier voisin. Des pieds sortaient, dressés en l'air. Une tête retombait, à demi arrachée. Lorsque les trois tombereaux, de nouveau, s'ébranlèrent, cahotant dans les flaques, une main livide qui pendait, très longue, vint frotter contre une roue; et la main peu à peu s'usait, écorchée, mangée jusqu'à l'os.
Ils sont ensuite arrêtés à Balan et se rendent à l’ermitage pour demander à Dubreuil, qui est visiblement un peu le cousin de tout le monde (loin de moi l’idée de colporter une quelconque rumeur de consanguinité régionale), d’intervenir en leur faveur auprès des prussiens...
C'était, au bas du perron, sur le gravier fin de la terrasse, toute une réunion joyeuse. Autour d'un guéridon à tablette de marbre, des fauteuils et un canapé de satin bleu-Ciel formaient le cercle, étalant au plein air un salon étrange, que la pluie devait tremper depuis la veille. Deux zouaves, vautrés aux deux bouts du canapé, semblaient éclater de rire. Un petit fantassin, qui occupait un fauteuil, penché en avant, avait l'air de se tenir le ventre. Trois autres s'accoudaient nonchalamment aux bras de leurs sièges, tandis qu'un chasseur avançait la main, comme pour prendre un verre sur le guéridon. Évidemment, ils avaient vidé la cave et faisaient la fête. (...)
Mais Silvine, dont les yeux se dilataient, jeta un cri, eut un brusque geste d'horreur. Les soldats ne bougeaient pas, ils étaient morts. Les deux zouaves, raidis, les mains tordues, n'avaient plus de visage, le nez arraché, les yeux sautés des orbites. Le rire de celui qui se tenait le ventre venait de ce qu'une balle lui avait fendu les lèvres, en lui cassant les dents.
Et cela était vraiment atroce, ces misérables qui causaient, dans leurs attitudes cassées de mannequins, les regards vitreux, les bouches ouvertes, tous glacés, immobiles à jamais. S'étaient-ils traînés à cette place, vivants encore, pour mourir ensemble? étaient-ce plutôt les Prussiens qui avaient fait la farce de les ramasser, puis de les asseoir en rond, par une moquerie de la vieille gaieté Française?
Ils arrivent finalement à passer Balan et se retrouvent dans le bois de la mort qui tue...
Un lieutenant, la bouche sanglante, avait encore les deux mains enfoncées dans la terre, arrachant des poignées d'herbe. Plus loin, un capitaine était mort sur le ventre, la tête soulevée, en train de hurler sa douleur. D'autres semblaient dormir parmi les broussailles, tandis qu'un zouave dont la ceinture bleue s'était enflammée, avait la barbe et les cheveux grillés complètement.
Ça ne vous rappelle rien ? Mais si :
(...) un zouave qui poussait un cri continu de bête égorgée, les entrailles ouvertes. Plus loin, un autre était en feu: sa ceinture bleue brûlait, la flamme gagnait et grillait sa barbe; tandis que, les reins cassés sans doute, ne pouvant bouger, il pleurait à chaudes larmes. Puis, c'était un capitaine, le bras gauche arraché, le flanc droit percé jusqu'à la cuisse, étalé sur le ventre, qui se traînait sur les coudes, en demandant qu'on l'achevât, d'une voix aiguë, effrayante de supplication. (...)
Et [le porte-drapeau] resta seul, à se tordre sur la mousse, dans ce coin délicieux du bois, arrachant les herbes de ses mains crispées, la poitrine soulevée par un râle qui dura pendant des heures.
Ils finissent tant bien que mal à rejoindre le champ de bataille dont on enlève déjà les corps à cause de la pluie qui accélère la putréfaction (évidemment). Après quelques errements histoire de caser encore quelques descriptions de dépouilles bien senties, durant lesquels ils croisent des détrousseurs de cadavres et ils manquent à plusieurs reprises de se faire écrabouiller par une nuée de chevaux...
Du haut d'une pente voisine, une centaine de chevaux, libres, sans cavaliers, quelques-uns encore portant tout un paquetage, dévalaient, roulaient vers eux, d'un train d'enfer. C'étaient les bêtes perdues, restées sur le champ de bataille, qui se réunissaient ainsi en troupe, par un instinct. Sans foin ni avoine, depuis l'avant-veille, elles avaient tondu l'herbe rare, entamé les haies, rongé l'écorce des arbres. Et, quand la faim les cinglait au ventre comme à coups d'éperon, elles partaient toutes ensemble d'un galop fou, elles chargeaient au travers de la campagne vide et muette, écrasant les morts, achevant les blessés.
... Prosper retrouve la position où les canons français se sont fait allumer par les canons allemands.
Et jusqu’au bout Silvine espère ne pas y trouver le corps de son futur époux. Mais elle n’avait pas compris qu’elle était dans un roman de Zola, pauvre innocente. Et puis finalement :
Tout à coup, elle jeta un cri sourd. Elle venait de se retourner, elle se trouvait sur l'emplacement même de la batterie. C'était effroyable, le sol bouleversé comme par un tremblement de terre, des débris traînant partout, des morts renversés en tous sens, dans d'atroces postures, les bras tordus, les jambes repliées, la tête déjetée, hurlant de leur bouche aux dents blanches, grande ouverte. Un brigadier était mort, les deux mains sur les paupières, en une crispation épouvantée, comme pour ne pas voir. Des pièces d'or, qu'un lieutenant portait dans une ceinture, avaient coulé avec son sang, éparses parmi ses entrailles. L'un sur l'autre, le ménage, Adolphe le conducteur et le pointeur Louis, avec leurs yeux sortis des orbites, restaient farouchement embrassés, mariés jusque dans la mort. Et c'était enfin Honoré, couché sur sa pièce bancale, ainsi que sur un lit d'honneur, foudroyé au flanc et à l'épaule, la face intacte et belle de colère, regardant toujours, là-bas, vers les batteries Prussiennes.
Elle chiale sa race, se rend compte qu’il est mort en serrant dans sa main la lettre qu’elle lui avait écrite et rechiale sa race.
Ils chargent le corps dans la charrette et reçoivent l’ordre de rentrer à Remilly en passant cette fois-ci par Sedan.
Dès qu'ils eurent franchi les fortifications, une puanteur les enveloppa, un lit de fumier leur monta aux genoux. C'était la ville immonde, un cloaque où, depuis trois jours, s'entassaient les déjections et les excréments de cent mille hommes.
Dans cette odeur pestilentielle, ils traversent la ville tant bien que mal, et ils assistent à la chasse aux planqués qui sont fusillés sur place, au ramassage des armes des vaincus et à la formation d’un gros tas sur une des places de la ville, puis croisent enfin une colonne de prisonniers dans laquelle Prosper reconnaît Jean et Maurice.
Il rentrent ensuite à Remilly, ramener le cadavre de son fils à un père qui est tout à sa joie car il a acheté des chevaux pas cher.
Les prussiens, prévoyants, conduisent les prisonniers dans une sorte d’enclos naturel formé par un coude de la Meuse au niveau d’Iges, entre Villette et Glaire.
Après avoir été séparé de Jean et une nuit de légers moments de flottement, Maurice retrouve son copain ainsi que Pache, Lapoulle, Chouteau et Loubet.
S’ensuit une longue, très longue semaine, limite pire que le temps passé sur le champ de bataille, durant laquelle les prisonniers crèvent de faim. L’animalité, la folie et la chiasse prennent alors peu à peu le dessus tandis que les corps de leurs camarades ainsi que ceux des chevaux noyés se décomposent dans les eaux stagnantes le long des berges de la rivière.
Les déjections, les excréments de toute cette armée malade empoisonnaient l'air d'émanations infectes. On ne pouvait plus longer la Meuse ni le canal, tellement la puanteur des chevaux et des soldats noyés, pourrissant parmi les herbes, était forte. Et, dans les champs, les chevaux morts d'inanition se décomposaient, soufflaient si violemment la peste, que les Prussiens, qui commençaient à craindre pour eux, avaient apporté des pioches et des pelles, en forçant les prisonniers à enterrer les corps.
Nos compères finissent par massacrer un cheval pour le bouffer, malgré l’interdiction des allemands, mais manquent d’en crever de dysenterie puisqu’ils n’attendent même pas que la viande soit cuite ni que l’eau, prise dans la rivière, soit bouillie.
Et peu à peu, Jean et Maurice se désolidarisent de leurs compagnons qui sont retournés à une sorte d’instinct bestial... ou qui montrent tout simplement leur vraie nature de gros cons (rappelons que 2 sur les 4 étaient partis se bourrer la gueule pendant le combat).
Pache réussit à planquer de la bouffe dont il va se goinfrer en cachette la nuit. Sauf que les trois autres le suivent... et Lapoulle finit par le poignarder, avec le couteau fourni par Chouteau dans la bagarre, pour lui voler son morceau de pain qu’il utilise involontairement comme une sorte de mouillette dans le sang de sa victime sans même partager avec les copains. Resté sur la berge, un peu plus tard dans la nuit, il décide d’essayer de s’enfuir et se fait abattre comme une merde par les sentinelles prussiennes.
Delaherche tente d’apporter des provisions au frère de la cops de sa femme mais se fait piller son panier avant d’avoir atteint son but. Henriette n’a pas le droit de pénétrer dans l’enclos des prisonniers sous peine de se transformer en schtroumpfette... voire de faire une fin à la Grenouille dans LE PARFUM.
Arrive enfin un ravito et les soldats, qui crevaient de faim, meurent à présent de ne plus pouvoir s’arrêter de manger.
Hanté par les râles d’agonie et la vision, en face d’eux, du champ de bataille, Maurice pète lentement mais sûrement les plombs. Jean prend alors la décision d’arracher de leurs uniformes ce qui pouvait rappeler leur attachement au 106eme régiment et de les incruster dans un autre en partance pour l’Allemagne, histoire de quitter cet enfer. Dans la cohorte, ils s’aperçoivent que Chouteau et Loubet ont eu la même idée.
Jean et Maurice entament une longue marche de la honte vers l’Allemagne, un peu comme dans le livre éponyme de Stephen King, mais encadrés par des méchants prussiens, enfin surtout un, le chef, de petite taille, qui doit sans doute avoir un truc à compenser.
Du coup, l’envie de se barrer se fait pressante pour Maurice. Chouteau et Loubet entendent la discussion entre leur pote de régiment et leur ancien caporal et veulent s’incruster, ce qui refroidit d’autant plus Jean qui renonce alors au projet.
Chouteau et Loubet se taillent, Loubet galope comme un lapin, Chouteau, sur le point de se faire prendre, fait tomber son camarade qui est attrapé par les prussiens, passé à tabac et qui agonise pendant que l’autre s’enfuit, abondant une nouvelle fois dans le sens de Jean, aka « la voix de la raison et de la sagesse populaire », qui, depuis l’épisode du cheval et du meurtre de Pache, se méfie drôlement du bonhomme.
Les prisonniers finissent tant bien que mal par arriver sur les lieux de leur campement.
Comme le méchant prussien est parti dormir à l’auberge (ça a besoin de confort ces bêtes-là), ses compatriotes permettent aux villageois de venir vendre des victuailles à leurs concitoyens.
Un marché est alors improvisé et une jeune fille distribue à Jean un panier dont les pains cachent des vêtements.
Habillés désormais en civil, Jean et Maurice se carapatent pour essayer de rejoindre la Belgique. Mais Jean est touché par une balle à la jambe.
Ils réussissent à trouver un cheval et décident de se rabattre sur Remilly et la baraque de l’oncle de Maurice où a déjà atterri Prosper précédemment.
Là, le vieux est moyen chaud pour planquer deux nouveaux déserteurs mais il finit par céder, devant l’insistance d’Henriette qui a quitté Sedan et tous les souvenirs heureux qu’elle avait avec son défunt mari pour bosser à l’ambulance de Remilly et se sentir à peu près utile.
Comme la jambe de Jean va nécessiter des soins longs pour éviter l’amputation et que Maurice à la bougeotte, il décide de rentrer à Paris et de laisser sa sœur et son BFF chez son oncle.
Maurice parti rejoindre la résistance à l’envahisseur prussien, Jean se retrouve reclus dans une petite chambre planquée de la propriété du père Fouchard (et non du père Fourras comme le lit systématiquement mon cerveau malade).
Le médecin n’est pas super optimiste quant aux chances de survie du caporal. Mais Henriette veille et les deux veufs unissent leurs solitudes et leurs craintes concernant Maurice dont ils n’ont plus de nouvelles, dans des moments de complicité, de solidarité, de tendresse et d’intimité (sans sexe, on se calme !).
Elle vient donc le voir tous les jours, lui raconte les détails (épouvantables) du destin des blessés de l’infirmerie où elle bosse...
Ce n'était plus, en pleine bataille, l'ambulance où coulait le sang frais, où les amputations se faisaient dans les chairs saines et rouges. C'était l'ambulance tombée à la pourriture d'hôpital, sentant la fièvre et la mort, toute moite des lentes convalescences, des agonies interminables.
... dont celui du The Rock prussien roux qui l’avait emportée des bras de son mari, qui a eu la bouche arrachée par une balle reçue dans la nuque et qui la remercie chaque jour de ses yeux suppliants d’être si gentille avec lui jusqu’à ce qu’il crève, sans avoir pu dire son nom ni celui du bled où l’attendent sa femme et ses gosses...
... ou encore celui de « Pauvre enfant », un tout jeune gamin, qui succombe à une pleurésie en prenant Henriette pour sa maman.
Elle lui lit également les nouvelles plus très fraîches des journaux (bizarrement la distribution en temps de guerre et en zone occupée n’est pas très efficace) et ils ne peuvent que constater, à retardement, les différentes branloutes que prend l’armée française, la reddition de Bazaine à Metz assiégé et l’étau qui se resserre autour de Paris, augmentant leur angoisse d’être sans nouvelles de Maurice.
De son côté, le père Fouchard prospère en vendant de la bidoche aux prussiens. Au point qu’il se fait un tout petit peu traiter de gros traître à la patrie par les habitants de Remilly.
Et peu à peu Jean se prend à rêver d’épouser Henriette et d’être enfin un peu heureux, même si, contrairement à Silvine, il a bien conscience de sa nature de personnage de Zola et de son incapacité inhérente à la félicité.
Tandis qu’Henriette ne pense avoir qu’une affection fraternelle pour le soldat et pote de son frère jumeau. Jusqu’à ce qu’elle croie que les prussiens viennent le chercher. Alors qu’en fait, ils viennent juste accuser le père Fouchard de fricoter avec les francs-tireurs planqués dans le bois et de leur avoir vendu de la viande daubée, ce que le vieux nie farouchement... Pour finalement avouer à sa nièce après leur départ que depuis le début, il ne leur vend QUE de la viande daubée.
Et qui c’est le traître à la patrie maintenant ?
Prosper annonce à Silvine que Goliath est de retour à Remilly.
FLASHBACK : Goliath, c’est le prussien qui bossait pour le père Fouchard avant le début des hostilités franco-allemandes, et que tout le monde s’accorde désormais à dire qu’il était un espion. C’est aussi le copain d’Honoré avec lequel Silvine a couché lorsque son amoureux s’est barré en Afrique quand le père Fouchard a refusé que son fils épouse la servante. C’est enfin lui le père du petit Charlot, qui a abandonné Silvine à 7 mois de grossesse.
Bref, autant dire que Silvine a des boulasses de compète.
Parallèlement, ce sont donc bien les francs-tireurs (dont le chef est le frère de Prosper... c’est tout de même fou comme le monde est petit) qui fournissent la viande daubée au Père Fouchard, contre du pain. Un soir qu’ils viennent procéder à l’échange, ils confirment le retour de Goliath et la folle envie qui les tiraille de buter ce gros traître qui s’est bien fondu dans le paysage pour mieux la leur faire à l’envers.
Et le lendemain, qui qui c’est qui vient rendre une petite visite à son ancien patron ?... Le Goliath !
Et le coquinou veut reprendre son bien, ou plutôt ses biens : Silvine, et leur fils.
Sauf que Silvine est pas trop-trop d’accord. Alors, plutôt soumise d’habitude, elle sent tout son être se rebeller et elle l’envoie copieusement chier.
Alors il la menace. Mais genre pas la petite menace sympa (si tant est que ça puisse être sympa une menace). Plutôt genre : si dans deux soirs tu n’as pas laissé la fenêtre de ta chambre ouverte pour que je vienne te saxonniser de fond en comble, je viendrai t’enlever ton gamin et dans la foulée je balancerai à l’armée prussienne Prosper le déserteur et frère du chef des miliciens en free-lance, Jean le blessé caché, ainsi que le père Fouchard, le fournisseur de viande avariée via les francs-tireurs.
Car un informateur, ça sait vachement de trucs, en fait.
Alors Silvine passe à peu près par tous les états possibles et imaginables et envisage toutes les solutions allant de la fuite au meurtre de son fils suivi de son suicide... Tout sauf céder à ce gros connard, fort de sa légitimité de vainqueur sur les vaincus. Jusqu’à ce que l’évidence s’impose à elle : balancer l’info au Gang des trois résistants.
Après avoir couché et endormi Charlot dans la chambre d’Henriette, de garde au dispensaire, elle laisse donc sa fenêtre ouverte. Goliath est saucissonné puis déposé sur la table de la cuisine et, après un simulacre de procès, les trois brigands l’égorgent. C’est alors que le prussien se vide de son sang que l’assemblée se rend compte que le petit Charlot s’est levé et qu’il assiste au meurtre de son père planqué dans les jupes de sa mère. Parce que, comme dans LA TERRE, il faut toujours qu’il y ait un ou plusieurs enfants planqués qui assistent aux assassinats nocturnes violents et sordides.
Suite à ça, comme ils n’ont pas bien écouté les recommandations de Benoit Poelvoorde dans C’EST ARRIVE PRÈS DE CHEZ VOUS, les assassins lestent mal le corps qui est retrouvé 2 jours plus tard par les prussiens qui, du coup, sont très colère.
Alors le maire de Remilly et le Père Fouchard sont arrêtés. En laissant le soin à Silvine, redevenue parfaitement docile, de s’occuper de Jean, Henriette part à Sedan plaider la cause de son oncle chez les Delaherche qui, en bons collabos, hébergent un prussien influent.
À Sedan, tout le monde s’accorde à dire que Gilberte, la jeune femme de Delaherche, se tape le vieux prussien qui accède à toutes ses requêtes. Enfin « tout le monde », disons au moins ceux que ça intéresse... Soit un maximum de personnes vu qu’il n’y avait pas la télé à l’époque.
Henriette se rend donc chez le patron de son défunt mari dans l’espoir de faire libérer son tonton. Elle en obtient ainsi assez facilement la grâce et apprend que Gilberte ne se tape pas du tout le prussien mais un jeune et beau soldat français que son mari a recueilli. Gilberte qui se la joue un peu pétasse à la NANA d’ailleurs :
— Ca, c'est vrai, je m'amuse de lui. Il m'adore, et je n'ai qu'à le regarder, pour qu'il obéisse… Si tu savais comme c'est drôle, de se moquer ainsi de ce gros homme, qui a toujours l'air de croire qu'on va enfin le récompenser!
— Mais c'est un jeu très dangereux, dit sérieusement Henriette.
— Crois-tu? Qu'est-ce que je risque? Lorsqu'il s'apercevra qu'il ne doit compter sur rien, il ne pourra que se fâcher et s'en aller… Et puis, non! jamais il ne s'en apercevra! Tu ne connais pas l'homme, il est de ceux avec lesquels les femmes vont aussi loin qu'elles veulent, sans danger. Pour ça, vois-tu, j'ai un sens qui m'a toujours avertie. Il a bien trop de vanité, jamais il n'admettra que je me sois moquée de lui… Et tout ce que je lui permettrai, ce sera d'emporter mon souvenir, avec la consolation de se dire qu'il a agi correctement, en galant homme qui a longtemps habité Paris.
Et sa belle-mère ferme une seconde fois les yeux parce qu’elle était tellement persuadée que sa bru couchait avec l’ennemi qu’elle est carrément soulagée qu’elle trompe son fils avec un compatriote.
Le père Fouchard rentre donc à Remilly et Jean, enfin guéri, décide de repartir combattre en passant par la Belgique.
Le docteur et Henriette l’accompagnent et ils font d’abord un pit stop à Sedan pour que Jean aille saluer le colonel de Vineuil, toujours reclus chez sa nièce, Gilberte Delaherche (pas de vanne sur la consanguinité, pas de vanne sur la consanguinité...). Les Delaherche qui tiennent donc une sorte de refuge pour soldats errants de tout bord, offrant gîte, couvert voire compensation sexuelle.
Mais, manque de bol, son ancien supérieur vient tout juste de mourir de rien ou plutôt d’avoir lu accidentellement la nouvelle du désastre de Metz après s’être retiré de la vie, dans le noir, pendant des mois, ne voulant plus faire partie du monde extérieur.
S’ensuivent les adieux déchirants entre Henriette et Jean, qui s’embrassent longuement sans savoir s’ils se reverront jamais.
Maurice est à Paris durant le siège qui précède la Commune : Famine, désolation et colère grandissante au fur et à mesure que les parisiens apprennent les défaites successives de l’armée française, les armistices et les capitulations. Et scission nette entre Paris, qui ne veut rien lâcher aux prussiens et qui refuse son désarmement (condition sine qua none à la signature de la fin des hostilités) en piquant tous les canons pour les regrouper à Montmartre, à l’endroit même où sera plus tard érigée la Basilique du Sacré Coeur (*instant culture OFF*), et la province qui en a tellement chié qu’elle désire la paix à tout prix. Maurice, exalté et passablement traumatisé par la bataille de Sedan et tout ce qui en a découlé, prend part corps et âme à l’insurrection :
La Commune lui apparaissait comme une vengeresse des hontes endurées, comme une libératrice apportant le fer qui ampute, le feu qui purifie.
Avant que la Commune soit proclamée, Maurice croise Jean qui, après avoir passé deux mois à l’hosto en Belgique pour une grosse fièvre et pas encore tout à fait remis, a rejoint les rangs de l’armée régulière. Les deux hommes essaient mutuellement de se convaincre de se rallier au combat de l’autre, sans succès. Ils se séparent donc une nouvelle fois, l’un du côté des communards, l’autre du côté des versaillais.
La révolte éclate, pif-paf-pouf-pouf, Paris est libérée par les insurgés de la garde nationale. Mais si la bouffe vient à manquer, ce n’est pas le cas de l’alcool, parce qu’on est encore en France, merde ! Du coup Maurice commence à picoler sec...
Si l'idée justicière et vengeresse devait être écrasée dans le sang, que s'entr'ouvrît donc la terre, transformée au milieu d'un de ces bouleversements cosmiques, qui ont renouvelé la vie!
... et se plaît à rêver de la capitale en feu, entièrement détruite pour ne pas être prise.
Sauf que lorsque les troupes de l’armée régulière, augmentée de quelques dizaines de milliers de soldats prisonniers libérés par les prussiens, entrent dans Paris et que les combats éclatent autour des barricades, il se rend compte que c’est ce fils de pute de Chouteau qui fout le feu aux bâtiments.
Et Maurice, à le voir courir avec ses hommes, tenant encore à la main un bidon de pétrole, éprouva un malaise, un doute affreux où il sentit vaciller toute sa foi. L'oeuvre terrible pouvait donc être mauvaise, qu'un tel homme en était l'ouvrier?
Des heures encore s'écoulèrent, il ne se battait plus que dans la détresse, ne retrouvant en lui, debout, que la sombre volonté de mourir. S'il s'était trompé, qu'il payât au moins l'erreur de son sang!
Sachant que les soldats sont en train de faire le tour du pâté de maisons pour les prendre à revers et la bataille forcément perdue, ses copinous de barricade se cassent les uns après les autres en sifflotant et en reprenant une tenue civile, confortable et sportswear, parfaite pour se faire fusiller.
Maurice reste seul contre sa barricade à allumer tout ce qui se présente à lui. C’est alors que le bataillon qui a fait le tour, justement, débouche devant lui, au milieu de la fournaise des incendies adjacents et d’une fumée à couper au couteau. Et qui c’est qui est à la tête du contingent ? Jean Macquart, évidemment !
Poussé par l’envie d’en finir et la colère de voir la capitale incendiée, il se jette sur le communard et le transperce avec sa baïonnette... avant de se rendre compte que, aveuglé par la folie meurtrière, il vient d’empaler son ami.
Il se met à pleurer en essayant de voir s’il ne peut pas le sauver, ou remonter le temps, ou dire « pouce ! C’était pour du faux » mais rien n’y fait. Et Maurice qui désirait si ardemment mourir, éprouve soudain une tristesse infinie.
Henriette, toujours dans les bons coups, débarque à Paris. Sauf que comme c’est un gros bordel, que les insurgés ont enlevé des rails et qu’il y a un peu tout qui est en train de cramer, son train est arrêté avant d’entrer dans la capitale. Là, elle croise son cousin prussien Gunther et lui demande de l’aide. Mais...
Et il refusait de son air hautain de vainqueur dont la loi était de ne jamais intervenir dans les affaires des vaincus, les jugeant sans doute malpropres, salissantes pour sa gloire toute fraîche.
Il préfère l’emmener sur une passerelle pour admirer ensemble le brasier.
Et, d'ailleurs, son geste avait suffi, il avait dit sa haine de race, sa conviction d'être en France le justicier, envoyé par le Dieu des armées pour châtier un peuple pervers. Paris brûlait en punition de ses siècles de vie mauvaise, du long amas de ses crimes et de ses débauches. De nouveau, les germains sauveraient le monde, balayeraient les dernières poussières de la corruption latine.
Henriette s’élance donc seule, au péril de sa vie, bravant les flammes.
De son côté, Maurice n’est pas mort et Jean se met en tête de tenter de la sauver. Et pour ce faire, ils doivent rejoindre son domicile, rue des Orties. Donc, en gros, traverser Paris à feu et à sang. Ils parviennent à atteindre la Seine (ou le Styx, je sais plus) et à piquer une barque...
Et ils descendaient toujours lentement, au fil de cette eau incendiée, entre les palais en flammes, ainsi que dans une rue démesurée de ville maudite, brûlant aux deux bords d'une chaussée de lave en fusion.
Tant bien que mal, ils atteignent la piaule parisienne de Maurice, tout en haut d’une vieille maison, parce que porter son pote évanoui seulement sur 1 ou 2 étages, c’est pour les faibles. Et quelques heures plus tard, ils sont rejoints par Henriette, qui n’a rien à foutre là mais qui aime bien assister à la mort des gens qu’elle aime.
Une fois Maurice réveillé, ils se lancent dans un débat d’idée pro VS anti-guerre.
On my right, Jean Macquart, 39 ans, paysan instinctif :
— Sacré bon Dieu! quand je te vois là, et quand c'est par ma faute… Ne la défends plus, c'est une sale chose que la guerre!
On my left, Maurice Levasseur, 29 ans, bourgeois philosophe :
— Oh! moi, qu'est-ce que ça fait? il y en a bien d'autres!… C'est peut-être nécessaire, cette saignée. La guerre, c'est la vie qui ne peut pas être sans la mort (...) Non, non, ne maudis pas la guerre… Elle est bonne, elle fait son oeuvre…
Et au milieu coule une Henriette, 29 ans aussi (forcément), inconsolable depuis que Jean lui a avoué que c’est lui qui a embroché son frère jumeau sans faire exprès.
Entre deux visites de Jean qui fait des allers-retours entre son régiment et la chambre, et le major Bouroche, qui ne peut pas se prononcer quant aux chances de survie de Maurice, une hémorragie pouvant survenir à n’importe quel moment, Henriette observe beaucoup Paris tomber en ruine :
N'était-ce pas, en effet, l'acte dernier et fatal, la folie du sang qui avait germé sur les champs de défaite de Sedan et de Metz, l'épidémie de destruction née du siège de Paris, la crise suprême d'une nation en danger de mort, au milieu des tueries et des écroulements?
Jean, quant à lui, assiste à ce qui sera plus tard nommé « la semaine sanglante » où d’un côté les incendies, les combats et les bombardements continuent, et de l’autre, les troupes françaises fusillent à tour de bras hommes, femmes et enfants sans nulle forme de procès et sur simple dénonciation...
(...) des troupeaux jetés pêle-mêle sous les canons des fusils, tant de misérables à la fois, qu'il n'y avait pas des balles pour tous, et qu'il fallait achever les blessés à coups de crosse.
... il croise également Chouteau, en civil, qui regarde tranquillement des innocents se faire shooter par les pelotons d’exécution qui n’ont plus lieu d’être :
L'ordre de cesser les exécutions était, disait-on, venu de Versailles. Mais l'on tuait quand même, Thiers devait rester le légendaire assassin de Paris, dans sa gloire pure de libérateur du territoire; tandis que le maréchal De Mac-Mahon, le vaincu de Froeschwiller, dont une proclamation couvrait les murs, annonçant la victoire, n'était plus que le vainqueur du Père-Lachaise.
Et Maurice finit par mourir d’avoir un peu trop pris la confiance et de s’être trop agité en se croyant en rémission, déclenchant ainsi l’hémorragie interne inévitable.
En chialant abondamment, Henriette et Jean se disent alors adieux, malgré l’attachement et l’amour qui les lient, malgré leur rêve commun et inavoué d’être heureux ensemble et malgré le nombre incalculable de fois où Maurice leur a répété sur tous les tons qu’il voulait mourir, qu’il le devait et qu’il le méritait et que c’était juste pas de bol que ce soit de la main de son copain.
C'était bien pourtant la fin de tout, un acharnement du destin, un amas de désastres tels, que jamais nation n'en avait subi d'aussi grands: les continuelles défaites, les provinces perdues, les milliards à payer, la plus effroyable des guerres civiles noyée sous le sang, des décombres et des morts à pleins quartiers, plus d'argent, plus d'honneur, tout un monde à reconstruire!
Alors Jean s’en va reconstruire la France, tel un poor lonesome cowboy, en attendant qu’on prenne les mêmes et qu’on recommence, 43 ans plus tard.