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HERGÉ, À L'OMBRE DE TINTIN de Hugues Nancy [critique]

C'est l'histoire de Georges Rémi, et de ses initiales en verlan, qui n'aurait pas reconnu la paternité de Jean-Claude Narcy. Par contre, celle du fourbe petit blondinet à houppette est bel et bien la sienne. Et le célèbre rejeton arriviste va prendre tellement de place dans sa vie qu'il va le submerger au point de se substituer à lui-même, et de le condamner à vivre dans l'ombre de Tintin (comme le titre !).

Le documentaire montre ainsi parfaitement cette lutte angoissante que le bonhomme mènera toute sa vie, enchaîné au monstre qu'il a lui-même créé et élevé grâce à force travail acharné (et un peu de masochisme et de vénalité peut-être), ne laissant rejaillir sur lui que des miettes de gloire et de reconnaissance. Et c'est vraiment cher payé une pauvre petite addiction au scoutisme dans sa prime jeunesse !

On nous parlera de Georges Rémi (ou de Rémi Georges pour l'acronyme passé à la postérité), à partir de sa collaboration au PETIT VINGTIÈME, l'édition pour enfant du journal bruxellois catholique et conservateur LE VINGTIÈME SIÈCLE, au supplément jeunesse du quotidien LE SOIR contrôlé par les allemands pendant la seconde guerre mondiale, en passant par son affranchissement partiel puis total des journaux et sa collaboration avec Casterman puis la première colorisation d'une bande dessinée. Mais aussi par la création de la revue TINTIN et par celle des studios Hergé qui lui permettront de déléguer le dessin des décors, des objets, et cette colorisation à la main (et accessoirement de se taper une des coloristes).

Un documentaire chronologique donc, qui va évoquer plus ou moins en détail les différentes œuvres de l'artiste, de la première apparition de son personnage fétiche dans TINTIN AU PAYS DES SOVIETS puis dans l'inénarrable TINTIN AU CONGO (alors qu'Hergé voulait écrire TINTIN AUX STASUNIS pour donner l'autre pendant idéologique de la guerre froide). Où l'on apprend (à moins que ce ne soit pour se racheter une virginité parce que ça la foutait trop mal) qu'Hergé ne s'est pas du tout documenté pour écrire ces aventures africaines et qu'il s'agissait d'une œuvre de commande dans laquelle il n'a fait que retranscrire ce que tout un chacun pensait du peuple colonisé (c'est pas moi, c'est un grand qui m'a dit de le faire !).

HERGÉ, À L'OMBRE DE TINTIN de Hugues Nancy [critique]

Par le biais d'interviews de tintinophiles et d'images d'archives, on apprend également qu'avec LE LOTUS BLEU, l'œuvre de Hergé devient politique (grâce à sa rencontre avec un jeune artiste chinois nommé Tchang qui va lui parler de l'occupation occidentale de Shanghai) ; qu'Haddock apparaît pour la première fois dans LE CRABE AUX PINCES D'OR, Tournesol dans LE TRÉSOR DE RACKAM LE ROUGE et Dupont et Dupond, inspirés de son père et de son oncle qui étaient jumeaux (ou flics... ou fans de Gérard Jugnot) dans LES CIGARES DU PHARAON ; qu'OBJECTIF LUNE et ON A MARCHÉ SUR LA LUNE ont ce côté visionnaire clairement inspiré de Jules Verne ; que L'ÉTOILE MYSTÉRIEUSE a créé la polémique car le méchant est un armateur juif américain et que le diptyque LES SEPT BOULES DE CRISTAL et LE TEMPLE DU SOLEIL regroupe ses œuvres les plus fantastiques, marquées par le surnaturel et le spectre de la folie (juste après le décès de sa mère, internée à de nombreuses reprises).

Mais outre toutes ces pépites de culture gé qui vous permettront de briller au Trivial Pursuit, on apprend plein de choses...

HERGÉ, À L'OMBRE DE TINTIN de Hugues Nancy [critique]

Sur le bonhomme tout d'abord : à un moment donné, le type était tout de même capable quotidiennement de créer une double page de Tintin + toutes les illustrations et la couverture du PETIT VINGTIÈME + les aventures de Quick et Flukpe + celles de Jo, Zette et Jocko...

HERGÉ, À L'OMBRE DE TINTIN de Hugues Nancy [critique]

Et après on s'étonne qu'il ait fait un burn out... Avec peut-être un peu aussi le fait que quand il découvre les horreurs de la guerre à la libération, il ne veut plus dessiner Tintin. Du coup après, il fait une sorte de dépression intermittente et réussit à s'en sortir à partir du moment où il accepte de s'effacer derrière ce personnage dont il se sent prisonnier, un peu comme Fellini qui était moins célèbre que Mastroianni selon lui (ce qui est un peu con puisque Mastroianni n'était pas un personnage mais un vrai gars... à moins qu'on m'ait menti).

Sur son art ensuite : la ligne claire, l'usage du Cliffanger pour pousser le lecteur à acheter le journal le lendemain pour connaître la suite, ses caricatures de lui-même avec son héros, sa passion pour l'art abstrait d'où découlera la dernière aventure de Tintin alors que la leucémie est en train de le tuer...

HERGÉ, À L'OMBRE DE TINTIN de Hugues Nancy [critique]

Sur le processus de création d'une bande dessinée enfin : les fascinantes techniques de colorisation ; le redécoupage, le remontage et le recadrage des strips de journal pour devenir des planches d'album.

Tout ceci imbriqué, l'œuvre étant mise en lumière par les événements vécu par l'auteur, comme lorsque dans TINTIN AU TIBET, son album le plus personnel, les personnages se battent contre les éléments alors qu'Hergé se bat contre les tourments qui l'habitent à cause de sa liaison extra-conjugale en totale contradiction avec ses convictions d'ancien scout... Et vice-versa.

HERGÉ, À L'OMBRE DE TINTIN de Hugues Nancy [critique]

Un documentaire ARTE ÉDITIONS très fourni qui fourmille d'anecdotes et de détails, passionnant même si l'on est pas forcément fan de l'éternel petit mec en pantacourt.

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