24 Février 2019
Il était une fois un roi qui était grand, puissant et plein de pognon. Comme le bonheur ne tient décidément pas à grand-chose, il en était très heureux.
Il était également marié à une femme superbe que tout le monde admirait. Toutefois, nul ne sait si le roi l’aimait, mais l’envie dans le regard des autres suffisait à le satisfaire, le plus important étant que son épouse suscitât le désir du chaland.
Ensemble, ils avaient eu une fille qui avait hérité de la beauté maternelle et qui, en plus, était intelligente et sympa. Du coup, ils n’avaient pas jugé bon de faire des enfants de rechange.
Comme tout bon roi plein de pognon qui se respecte, le souverain possédaient moult chevaux qui peuplaient ses écuries royales. Mais la plus royale des stalles était étrangement occupée par un âne.
En effet, si le baudet tenait une place de choix c’est parce qu’au lieu de dégueulasser sa litière de matière fécale comme tous ses grands copains équidés, il la couvrait de pièces d’or, en toute simplicité.
Mais toutes les richesses issues de l’anus d’une bourrique ne pouvaient malheureusement acheter la santé : la reine tomba gravement malade. Avant de rendre l’âme, elle susurra dans un dernier râle à l’oreille de son époux l’emplacement de la source et une ultime recommandation :
— Mon tendre et fougueux aimé, vous êtes encore jeune et il vous faudra impérativement vous remarier afin de vous soulager de toute cette testostérone qui suinte par le moindre de vos pores velus et...
— Nan mais, à ce niveau-là, les putes et les maîtresses ça marche aussi.
— Taisez-vous ! Il vous faudra vous remarier, vous dis-je, afin de donner un héritier au royaume.
— Ah parce que maintenant c’est important ?
— Que voulez-vous dire ?
— Ben qu’au début de l’histoire, on s’en foutait un peu niveau héritage de n’avoir eu qu’un seul enfant et qui plus est un fille.
— C’est vrai, mais peut-être avions-nous oublié que dans notre société monarchique patriarcale, vous ne pourriez léguer votre trône qu’à un fils ?
— C’est contrariant, en effet.
— Vous devrez donc vous remarier...
— Bon d’accord. Mais c’est vraiment pour vous faire plaisir alors.
— Mais vous allez la fermer ! Vous devrez vous remarier mais avec une femme plus belle que moi...
— Ne seriez-vous pas pour le moins présomptueuse ma mie ? Ma mie ? Ma mie ?!?
Une fois passée une période de deuil standard, le roi se jeta corps et âme dans cette étrange quête d’une femme plus belle que sa défunte épouse. Il erra ainsi sur tous les profils Tinder, Meetic et Badoo disponibles, se rendit même à quelques soirée speed-dating, sans succès... à part peut-être auprès de quelques michetonneuses locales. Cependant aucune ne convenait. Alors il dut se rendre à l’évidence : seule sa fille surpassait la beauté de sa mère.
Au lieu de se dire que cette constatation était pour le moins malsaine, il alla tout de go lui demander sa main. La jeune fille, horrifiée à l’idée de devoir se taper son père, si grand, si puissant et si riche soit-il, s’enfuit dans la nuit dans un petit carrosse tiré par un gros mouton corse qui connaissait tous les chemins de son pays.
Elle alla se réfugier chez sa marraine, la fée des Lilas :
— Ma filleule, tu ne peux décemment pas épouser ton père !
— Nan mais moi, à la base, je suis pas pour hein, même que c’est pour ça que je me suis barrée du château en fait.
— D’un autre côté, tu ne peux pas non plus tout quitter et trouver du boulot parce que tu as des besoins, un train de vie et que c’est fatiguant. À moins que...
— À moins que ?
— À moins que je te crève un œil... Ou que je te lacère le visage.
— Euh, t’as pas une autre idée ?
— Pour te rendre moins belle que ta mère ? Non.
— Ah... si seulement je connaissais quelqu’un doté de pouvoirs magiques qui pourrait m’enlaidir sans me défigurer...
— Ha ha ha ! Sois réaliste un peu ! Sinon, tu pourrais dire à ton père que tu acceptes de l’épouser s’il t’offre une robe couleur du temps.
— C’est quoi ça, une robe couleur du temps ?
— Et bien justement ! Comme ça n’existe pas et que c’est irréalisable parce que le temps n’a pas de couleur, il peut toujours se brosser pour que tu deviennes sa femme !
— Astucieux...
Et c’est exactement ce qu’elle fit. Ni une ni deux, son père, véritablement déterminé à se la faire, fit venir les meilleurs couturiers du royaume et emprisonner leurs familles. Il leur expliqua que s’ils voulaient que leurs femmes et leurs enfants aient la vie sauve, ils avaient fort intérêt à se sortir les doigts du cul et à créer cette fameuse robe couleur du temps.
Ultra motivés, ils se mirent à l’ouvrage, tant et si bien que dès le lendemain, le roi put offrir à la princesse cet improbable vêtement :
— Voici, très chère : une robe couleur du temps !
— Euh... C’est une robe bleue.
— Oui mais c’est un beau bleu.
— Ah mais je suis tout à fait d’accord : elle est très belle, la couleur est superbe, la coupe est parfaite... Mais ça reste une robe... bleue.
— Vous chipotez mon adorée. Bon, maintenant que j’ai rempli ma part du contrat, quand est-ce qu’on baise ?
À ses mots, la princesse sauta dans son carrosse, fouetta son gros mouton et fonça chez la fée des Lilas. Cette dernière lui conseilla de réclamer cette fois-ci une robe couleur de lune.
Les couturiers travaillèrent d’arrache-pied et le lendemain, son père lui offrit une robe... jaune. Pâle.
Excès de vitesse en carrosse et dérapage devant la demeure de sa marraine qui lui conseilla, cette fois, de demander une robe couleur du soleil.
Les couturiers travaillèrent d’arrache-pied et le lendemain, son père lui offrit une robe... jaune. Brillante.
Désespérée et à la limite de la résignation, la princesse se réfugia une dernière fois chez la fée des Lilas qui lui conseilla de demander à son père un terrible sacrifice : buter son unique source de revenus, l’âne alchimiste du fion !
Mais le Roi, la babine écumante et le poil hirsute, n’hésita pas une seule seconde : sans sommation aucune, le pauvre animal fut exécuté et sa peau offerte à la princesse, en gage de reconnaissance pour les faveurs qu’elle se devait désormais d’accorder à son papa.
La fée des Lilas apparut alors et exhorta sa filleule à s’enfuir exactement comme elle le lui avait déconseillé lors de leur premier entretien. Elle lui expliqua qu’elle allait désormais devoir se cacher de son prédateur de père, gagner sa vie, se terrer et surtout ne jamais dévoiler sa véritable identité.
La princesse se barbouilla la tronche de suie pour mieux coller à son nouveau personnage de pauvresse, s’enveloppa dans la peau de l’âne mort qui daubait sa race et prit la route, dans le dénuement le plus total... enfin pas complètement : sa marraine faisait suivre sous terre un coffre contenant les trois luxueuses robes qu’elle avait réclamées à son père en échange de son consentement sexuel. Elle lui avait même confié sa baguette magique afin que la princesse en exil puisse faire apparaître à sa guise son dressing souterrain en la frappant sur le sol... parce que c’est toujours fort utile de posséder de beaux atours secrets lorsqu’on est en cavale et qu’utiliser des pouvoirs magiques pour faire du transport invisible de fringues c’était vraiment la seule chose que la fée pouvait faire pour aider sa filleule.
Le roi, fou de rage et de frustration, lança cent gendarmes, mille mousquetaires, une unité d’assaut du GIGN, quinze parachutistes et un cochon-truffier à la recherche de sa fille bien-aimée (trop-aimée ?).
Mais la fée des Lilas rendait la jeune fille insaisissable malgré son odeur pestilentielle... parce que faire disparaître les choses et les gens, c’était définitivement son truc, ou bien l’unique magie qu’elle maîtrisât.
La princesse marcha longtemps, jusqu’à ce que le château soit devenu tout petit. Elle finit par s’arrêter dans une ferme qui, hasard, coïncidence ou coup de bol, cherchait justement une larbine. Elle rentra donc au service des fermiers et apprit à s’occuper de tous les trucs qui rimaient avec prison : les torchons, les dindons, les moutons, les cochons, les morpions et les rhododendrons.
En contrepartie, elle était nourrie et logée dans une petite pièce juste à côté de l’enclos des porcins afin que ses derniers puissent couvrir l’odeur d’âne crevé émanant de la peau en décomposition qui la recouvrait en permanence, même en été, la chaleur et la transpiration la transformant alors en véritable un régal olfactif. D’ailleurs, on ne l’appelait plus que Peau d’Âne et tout le monde se foutait allègrement de sa gueule.
Plusieurs années passèrent durant lesquelles la princesse incognito ne rechigna jamais à la tâche, affrontant dignement les affres de sa cruelle destinée. Seulement de temps en temps, le dimanche, dans le secret de sa chambre, elle s’autorisait à utiliser la baguette magique de sa marraine afin de faire apparaître le coffre planqué sous la terre et de dégueulasser ses belles robes en les revêtant sur sa peau crasseuse.
Un beau jour, un Prince en goguette passa par là. Il vit la ferme, l’enclos des porcs, la petite pièce qui y était accolée et sa porte fermée. Comme tout ceci était vraiment très intriguant, il se dit soudainement que ce serait trop une bonne idée de violer la propriété des fermiers et d’aller coller son œil à la serrure de la porte de la petite pièce si mystérieusement proche de la porcherie.
À l’intérieur, qu’elle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit une magnifique jeune fille somptueusement vêtue d’un robe jaune éblouissante. Comme il était voyeur mais un peu timide, il n’osa pas fracturer la porte pour prendre de force la belle inconnue sur-le-champs et la paillasse. Il alla plutôt questionner les fermiers qui ne furent nullement surpris de se trouver face à un prince et qui lui répondirent qu’il n’y avait aucune princesse en ces lieux mais une pouilleuse nommée Peau d’Âne qu’ils avaient recueilli par pitié et pour attirer les mouches.
Déçu, le prince rentra chez lui mais, le soir venu, il fut pris d’une fièvre terrible, un peu parce qu’il était tombé fou amoureux de la jeune fille à la robe couleur du soleil, un peu parce que le niveau de salubrité de la ferme n’était pas vraiment en adéquation avec celui de son milieu naturel et qu’il avait chopé une saloperie.
Son père et sa mère, très inquiets, firent venir tous les médecins du royaume mais, à force de traitements contradictoires et incompatibles, l’état du prince ne fit qu’empirer. Ne pouvant expliquer qu’il était en train de mourir de mauvaises interactions médicamenteuses et d’amour (ou tout du moins d’attirance obsessionnelle) au risque de passer pour un gros gland, il réclama que la dénommée Peau d’Âne lui préparât un gâteau, sans que personne ne lui en demande la raison pour autant.
La jeune fille fit l’effort de se laver les mains, risquant ainsi d’atténuer sa puanteur et de se faire repérer par les limiers de son père, puis se mit au travail. Mais alors qu’elle pétrissait la pâte, elle y perdit une bague qu’elle portait au doigt. Elle ne s’en rendit malheureusement compte qu’une fois le gâteau cuit et se résolut à l’y laisser, inventant par la même occasion le concept de galette des rois.
On apporta le gâteau au prince qui s’empiffra, manquant de s’étouffer avec la fève inopportune. Il la trouva si belle, si petite, si fine, si étroite qu’elle ne pouvait assurément appartenir qu’à la plus belle femme du monde... ou fille... ou petite fille.
Il jura ainsi qu’il épouserait sa propriétaire, quelque soit sa tronche, son âge et sa condition même si, avec un bijou aussi précieux, il eut été fort improbable qu’elle ne fût pas d’extraction rupine.
On fit ainsi essayer en vain la bague à toutes les femmes du royaume parce que personne ne s’était dit qu’elle devait peut-être appartenir à la personne qui avait cuisiné le gâteau.
Mais, tout à coup, le prince brancha son cerveau : il demanda à ce que l’on fasse venir Peau d’Âne. Évidemment, la bague lui alla comme un gant, ce qui tombait bien puisque c’était la sienne et qu’elle était donc la seule représentante de la gente féminine du royaume à avoir au moins un doigt suffisamment fin ou décharné pour la porter.
L’assemblée en fut toute ébaubie et en oublia même de se boucher le nez. La jeune fille fit alors glisser la peau en putréfaction qui la couvrait, laissant ainsi apparaître toute sa beauté.
Était-elle totalement nue ou richement vêtue d’une de ses robes de princesse ? Nul ne le sait, à part peut-être les personnes présentes mais rares sont celles qui pourraient encore témoigner. Toujours est-il que le prince demanda immédiatement Peau d’Âne en mariage.
Cette dernière, voyant là une occasion providentielle de retrouver sa condition d’origine, n’hésita pas une seconde.
Il vint à la noce des souverains de tous les pays. Même le père de la mariée, qui avait réussi à survivre à la mort de son âne fétiche grâce à une augmentation substantielle des impôts, fut convié et ravi. Il avait, en effet, finalement réussi à oublier sa passion incestueuse ou tout simplement à négocier un droit de cuissage sur la jeune épousée.
Les réjouissances du mariage durèrent trois mois, et le prince et la princesse, qui n’avaient pas du tout la notion du temps, vécurent très heureux pendant cent ans.