4 Décembre 2018
Il était une fois un roi et une reine qui se désespéraient car ils ne parvenaient pas à avoir d’enfant. Un beau jour où la reine se baignait à poil dans un étang comme le font toutes les femmes infécondes, elle rencontra une grenouille. Ainsi, une fois que la jeune souveraine l’eut léchée, la batracienne lui tint à-peu-près ce langage :
– D’ici neuf mois, je peux t’assurer que tu donneras naissance à une magnifique petite fille.
– Euh... Y’a pas moyen d’avoir plutôt un garçon ? Non parce que ça m’arrangerait niveau succession, passation de pouvoir, société féodale et patriarcale...
– Ecoute-moi bien coquine : tu veux un enfant ou pas ?
– Oui !
– Bon bah ce sera une fille, à prendre ou à laisser.
– Je prends, je prends, c’est bon, je prends !
– Par contre il va falloir que le roi, il mette son zizi dans ton frifri.
– Quoi ?!? Ah mais non mais c’est dégueulasse !
– Et oui, je sais, mais c’est malheureusement le prix à payer...
La reine rentra au château, prit cher et, neuf mois plus tard, naquit une magnifique petite fille, tout pareil que la grenouille avait dit (comme quoi, le batracien hallucinogène, ça tient ses promesses en plus d’être vachement calé en biologie).
Le royaume était en liesse et le roi organisa une grosse teuf pour le baptême de son héritière. Ainsi, le couple royal décida de lui choisir pour marraine les fées du royaume (ce qui tendrait à démontrer, après CENDRILLON, que c’était une pratique relativement courante à l’époque).
Le problème, c’est que le roi n’avait que douze assiettes en or et qu’il y avait treize fées. Après un calcul rapide mais néanmoins complexe, il décida que plutôt que de risquer de vexer l’une d’elle en lui refilant une assiette en carton (ou pire : une assiette en argent), il serait nettement plus judicieux de la sacrifier carrément en ne l’invitant pas du tout.
La cérémonie fut célébrée et, arrivant à son terme, une fois que tout le monde se fut bien fait rincer la gueule, chaque fée se pencha sur le berceau de l’enfant pour la gratifier d’un don (mais pas d’un prénom par contre). La première lui donna la beauté, qualité neumbeurouane chez toute princesse qui se respecte (même si le concept demeure relativement subjectif). La seconde lui offrit la richesse, la troisième la gentillesse et la quatrième l’oreille absolue. L’histoire ne précise pas ce que lui procurèrent les huit autres mais gageons qu’il y eut du talent de cuisinière, de la capacité à fermer sa gueule et à porter des godasses impraticables, de l’hypersensibilité épidermique, de l’humilité, de la docilité et de la soumission car le Charles Perrault (dont la version des frères Grimm ici présente est très largement inspirée) écrivait tout de même clairement pour la haute bourgeoisie qui prônait des valeurs telles que la patience et la passivité chez la femme, qualités évidemment prépondérantes pour être une bonne mère et une bonne épouse.
Ainsi, tandis que la douzième fée allait offrir une très jolie excision à la toute petite fille afin qu’elle puisse donner du plaisir à son futur mari sans jamais en recevoir et qu’elle ne soit jamais détournée de ses devoirs de femme, la treizième fée, celle qui n’avait donc pas été invitée (pour les deux du fond qui n’ont pas suivi) débaroula pour gâcher les réjouissances. Elle s’empressa alors de jeter une malédiction sur la fillette : le jour de ses quinze ans, elle se piquerait le doigt sur l’aiguille d’un fuseau et tomberait raide morte d’une forme particulièrement virulente (voire fulgurante) de tétanos, lui évitant ainsi une vie d’esclave sexuelle et domestique par ailleurs.
Pouf-pouf, elle disparut aussitôt, laissant constater au souverain désœuvré toute l’étendue de l’efficacité de son service d’ordre.
La douzième fée, qui n’avait donc pas pu donner sa bénédiction au bébé, décida d’atténuer le mauvais sort, ne pouvant le défaire : le jour de ses quinze ans, la princesse se piquerait bien le doigt sur l’aiguille d’un fuseau tout pareil qu’elle avait dit la méchante fée vexée mais elle tomberait « seulement » dans un sommeil de cent ans.
Ni une ni deux, le roi et la reine donnèrent l’ordre de brûler tous les fuseaux du royaume, ce qui est un peu con puisqu’il existait des fuseaux en métal. Ils veillèrent ainsi nuit et jour sur leur fille, ce qui est également un peu con vu que la malédiction n’allait pas lui tomber inopinément sur le coin du râble, la fée vexée ayant été plutôt précise point de vue temporalité. Pourtant, le roi et la reine décidèrent de façon tout à fait rationnelle de quitter le château pile-poil le jour du quinzième anniversaire de leur fille pour résoudre sans doute une affaire urgente de la plus haute importance nécessitant leur présence à tous les deux, ce qui... échappe à toute forme de logique.
Mais que pouvaient-ils bien avoir à foutre de si primordial hors les murs, précisément le jour annoncé par la prophétie ? Nul ne le sait. À moins qu’au fond, ils ne désirassent secrètement qu’elle ne se réalisât...
La princesse en profita donc pour explorer le château (c’est qu’elle avait dû se faire drôlement chier pendant 15 piges ! ). Telle Blanquette dans LA PETITE CHEVRE DE MONSIEUR SEGUIN, elle gambadait à travers les salles et les couloirs, tant et si bien qu’elle finit par grimper quatre à quatre les escaliers en colimaçon de la plus haute tour et se retrouva face à une vieille porte en bois. Elle tourna la clé rouillée qui se trouvait justement dans la serrure et pénétra dans le donjon. Là, elle tomba nez à nez avec une vielle femme qui filait à l’aide d’un... *roulement de tambour*... fuseau !
Comme personne n’avait jugé bon de mettre en garde la jouvencelle contre cet instrument démoniaque, l’objet n’étant absolument pas censé causer sa perte, elle s’approcha sans méfiance. Là, sans aucune raison sinon savoir si effectivement ça piquait, parce qu’elle souffrait d’un besoin maladif d’expérimenter enfin les choses de la vie, elle en toucha du doigt le bout pointu. Elle se piqua ainsi comme une grosse quiche et tomba dans le coma comme prévu.
C’est alors que le roi et la reine et leur sens inné du timing rentrèrent au château. Mais, petite cerise sur le gâteau que la fée s’était bien gardée de divulgachier, ils sombrèrent eux aussi dans un profond sommeil tout comme les autres êtres vivants (humains, végétaux ou animaux) peuplant le palais.
Cent ans passèrent durant lesquels les ronces qui entouraient la forteresse poussèrent à un tel point qu’elles en cachèrent la vue et qu’elle tomba dans l’oubli. Un jour, un prince qui passait par là croisa un vieux qui lui parla de la princesse endormie. Ragaillardi par l’idée de découvrir une jeune fille plus que parfaitement soumise et offerte dont il pourrait faire n’importe quoi ou tomber amoureux, il brava les épines et pénétra... dans le château.
Il croisa donc tout un tas de gens endormis, ne pensa pas une seule seconde à les mettre cul-nu pour rigoler ou leur piquer leur pognon et leur joyaux, gravit les marches menant au donjon et découvrit la princesse inanimée, seule, couchée près du fuseau sur lequel elle s’était piqué le doigt...
Seule ? Et la vieille femme dans tout ça ?
Bon alors là de trois choses l’une : soit c’était en réalité la treizième fée déguisée en vieille qui aurait préalablement pris le soin de s’enfermer dans la pièce mais de l’extérieur et qui aurait eu le temps de disparaître par magie avant d’être frappée par sa propre malédiction, soit elle était auto-immunisée, soit le roi et la reine conservaient une vraie vieille, réduite en esclavage et enfermée dans le donjon, pour produire du fil pour tout le patelin sous le prétexte officiel d’éviter une pénurie vestimentaire. Non parce que, bon, c’est bien joli les prophéties à la con et la destruction massive de fuseaux mais il fallait quand même bien se vêtir !
Mais officieusement, comme ils étaient moyen chauds de base pour avoir une fille, maudite de surcroît, et qu’ils en avaient peut-être un peu plein le cul de ne pas avoir de vie, tout occupés qu’ils étaient à empêcher le drame, on pourrait finalement imaginer que, sachant forcément que la vieille possédait le dernier exemplaire de l’arme du crime, ils auraient délibérément laissé la clé sur sa porte avant leur départ impromptu pour que leur gamine la trouve, entre, se pique et qu’ils en soient finalement débarrassés... La vieille, pas du tout au courant de la prophétie, aurait alors explosé ou sauté par la fenêtre, prise de remords d’avoir sans doute involontairement causé la mort de la princesse et/ou désireuse de retrouver enfin une certaine forme de liberté.
En revanche, si c’était bel et bien la fée qui était déguisée en vieille dans le donjon, ayant trouvé un prétexte fallacieux pour éloigner le roi et la reine de la vigilance constante dont il couvait inutilement leur fille depuis son baptême, quelqu’un serait-il capable de dire qui fournissait tous les habitants du royaume en fringues et en draps depuis 15 ans ?
Comme par hasard le Prince trouva la Princesse divinement belle (faut dire que c’était le premier don qu’elle avait reçu, celui de la beauté universelle qui plaît à tout le monde, absolument pas utopique pour deux ronds) et comme par hasard il en tomba immédiatement amoureux... Ce qui lui donna toute légitimité pour forcer son intimité en lui roulant une grosse pelle, faisant fi de toute forme de consentement et de toute sensibilité olfactive et gustative, l’haleine émanant d’une personne endormie depuis un siècle devant être particulièrement florale.
Notons que l’on échappe ici aux versions plus anciennes (ou plus récente comme PARLE AVEC ELLE ou KILL BILL) où la jeune fille était carrément agressée sexuellement par le prince pendant son sommeil, tombait enceinte (nan mais c’est sans doute moins grave si le viol est procréatif) puis était réveillée par son bébé lui tétant le doigt, retirant ainsi l’écharde du fuseau empoisonné ayant causé sa grosse crise de narcolepsie.
Comme ça faisait justement exactement cent ans qu’elle s’était piqué le doigt, la gourdasse s’éveilla. Elle demanda alors au type qui avait encore la langue dans sa bouche si c’était lui son prince et pourquoi il avait mis autant de temps pour venir la délivrer.
Euh... À quel moment la prophétie parlait-elle d’un prince qui devait galocher la princesse pour la réveiller ? Et puis c’est quoi cette histoire de reproche concernant son hypothétique attente d’un sauveur ? Elle n’était pas censée dormir pendant cent ans non négociables ? Prince ou pas prince, ne se serait-elle pas réveillée de toutes façons ce jour-là ? Quand avez-vous décidé de faire un cross-over avec un autre conte sans nous prévenir ?!?
Le prince, qui était déjà pas mal présomptueux à peloter des gens sans leur demander leur avis et sans se soucier d’une quelconque conséquence néfaste de son acte pour lui ou pour l’autre, ne se sentit plus pisser, tout accueilli comme un libérateur qu’il était. La princesse en tomba ainsi éperdument amoureuse parce qu’elle avait gravement le feu au derche et parce que c’est ce qui arrive à toutes les filles qui se font embrasser de force par un inconnu avec lesquels elle n’ont pas échangé trois mots.
Le château s’éveilla à son tour et on célébra le mariage entre la princesse et son prince charmant, parce que quand on a 115 ans, on prend un peu ce qui vient.
Et puis, après tout, il eut tout de même été dommage de passer à côté d’un gentil prédateur sexuel fortuné.