3 Février 2019
Il était une fois un riche et veuf marchand qui avait trois filles : deux belles mais connes et prétentieuses et leur cadette, encore plus belle parce que, hasard, coïncidence ou causalité, elle était gentille, bienveillante et intelligente.
D’ailleurs, comme c’était la mode de débaptiser les enfants (comme dans LE PETIT CHAPERON ROUGE, LE PETIT POUCET ou CENDRILLON) et que les qualités de cœur et d’esprit étaient loin d’être les plus importantes, on ne l’appelait plus que « La Belle ». Mais l’on ne précise pas pour autant si ses sœurs s’en trouvaient affublées d’un « La Présomptueuse », « La Méchante », « La Frivole », « La Connasse » ou d’un « L’Inconséquente ».
En plus d’avoir perdu sa femme (longue maladie, accident de la route ou *poufpouf* dans la rue, nul ne le sait), le marchand perdit également rapidement sa fortune, au plus grand désespoir de ses filles aînées qui étaient décidément parties pisser lors de la distribution de l’empathie et de la magnanimité.
Mais un jour, il apprit qu’un navire contenant quelques-unes de ses marchandises venait d’accoster. Il décida donc d’aller récupérer son bien et, au moment de prendre la route, ses deux premières rejetonnes exigèrent qu’il leur rapportât moult babioles hors de prix (exactement comme dans l’horrible CENDRILLON de Kenneth Branagh) parce qu’elles n’avaient pas bien compris ce que le fait d’être ruiné pouvait impliquer. Sa dernière, en revanche, ne lui demanda qu’une rose ce qui, en plein hiver, revêtait tout de même un aspect plutôt casse-burne tant cela s’avérait chiant à trouver.
Mais le père, pris dans une tempête de neige, se pauma sur le chemin du port. Dans cet enfer blanc, il finit par apercevoir une lueur au loin. Tant bien que mal, il s’en rapprocha pour découvrir un magnifique palais tout illuminé. Il se dépêcha d’y pénétrer parce que la violation de domicile était, elle aussi, monnaie courante dans les contes. Le château semblait désert et pourtant il ne fut nullement surpris de trouver une immense table sur laquelle était dressé un festin. Sans y être évidemment invité, il s’attela à dévorer toutes les victuailles qui lui passaient sous la main. Repu et fourbu, il explora ensuite le château, tranquille, pépouze, à la fraîche, et trouva une chambre dans laquelle il s’installa pour la nuit.
Ragaillardi par une bonne nuit de sommeil réparatrice, il reprit la route non sans s’être empiffré au buffet du petit-déjeuner, servi comme par magie par des loufiats invisibles. Mais avant de quitter les jardins du château, il cueillit une rose pour La Belle.
C’est alors que, surgissant de nulle part, apparut une gigantesque et effrayante bête rugissante :
– NAN MAIS HO ! Je t’offre le gîte, le couvert et toi c’est comme ça que tu me remercies ? En volant mes roses que j’aime plus que tout au monde ?
– Euh... donc vous piquer votre bouffe en me goinfrant comme un porc et souiller vos draps ça ne fout pas les boules.
– Oui voilà, exactement.
– Mais par contre cueillir une malheureuse fleur ça vous fait peter les plombs ?
– Non mais tu le sais toi comment c’est galère à faire pousser, des roses dans la neige ?
– Ben non, pas vraiment. Parce que moi mon truc c’était plutôt le commerce. Alors du coup l’horticulture, je maîtrise moyen.
– Oui bah vu que tu n’as plus de thunes, on peut pas non plus dire que tu maîtrisais le commerce.
– Comment tu le sais d’abord que je n’ai plus de thunes ?
– Euh... Oh ! Regarde : des roses !!! C’est incroyable en hiver non ? Alors comme je te disais, les faire pousser dans la neige, c’est super mais genre super méga galère, tu vois. Alors du coup, je ne vois qu’un seul châtiment pour te faire payer ton impudence...
– L’argent ?
– La mort !!!
– Nan arrête, tu déconnes là ?
– ...
– Tu déconnes pas.
– Ou bien...
– Ah ouf, tu me rassures parce que je te trouvais un poilounet excessif sur ce coup.
– Tais-toi, manant ! Ou bien, disais-je, une de tes filles doit se sacrifier et venir ici pour mourir à ta place.
– Comment tu le sais d’abord que j’ai des filles ?
– Euh... Oh ! Regarde : des roses !!! C’est incroyable en hiver non ? Alors comme je te disais, tu rentres chez toi, tu expliques à tes filles que tu as été un vilain pas beau voleur de fleur et après, soit une de tes filles ramène sa fraise pour que je la tue soit tu reviens pour que je te tue.
– Et si je décidais de m’enfuir avec ma progéniture ?
– Parce que tu penses vraiment que tu peux échapper à un type que tu n’as jamais vu mais qui sait que tu n’as plus de fric et que tu es père de trois filles ?
– Ah ouais, pas con. Bon ben j’y vais alors.
De retour chez lui, le malotru condamné à mort raconta sa mésaventure à ses enfants, plaçant ainsi Victor Hugo et Jean Valjean à un rang de tout petits joueurs. Comme La Bête n’allait certainement pas recoller sa rose chérie, il avait décidé, foutue pour foutue, de laisser le marchand la rapporter à sa fille. Ce dernier offrit alors l’objet du délit à sa cadette, la faisant ainsi correctement culpabiliser.
Puis, s’apprêtant à faire des adieux déchirants, La Belle s’interposa entre lui et sa funeste destinée, demandant si une fuite collective n’était tout simplement pas envisageable. Mais son père la détrompa en lui expliquant qu’ils étaient confrontés à un bourreau hyper connecté et renseigné qui finirait par les retrouver (soit par magie soit par l’habile truchement d’informateurs grassement payés disséminés à travers tout le pays). Et, sans nullement chercher à en rajouter velu niveau mélodrame, qu’il les tuerait, sans doute, tous les quatre.
Renonçant à toute idée de plan B, La Belle argua que si son père devait mourir par sa faute puisque, rappelons-le, c’est elle qui avait induit chez lui cette idée de merde de cueillir une fleur, elle se devait de mourir à sa place, avec, en prime, l’immense satisfaction de lui sauver la vie (car, comme chacun le sait, il n’existe pas de bonne action désintéressée).
Le père essaya mollement de l’en dissuader parce que, il faut bien l’admettre, ce retournement de situation l’arrangeait un peu, par rapport à la vie.
Ils se mirent donc tous deux en route vers le château de La Bête, laissant seules les sœurs aînées de La Belle, demeurées étrangement muettes et transparentes tout du long de cette conversation.
Arrivés au palais, rebelote : violation de domicile, château désert, table, festin. Et en n’y étant toujours pas invités, ils s’attelèrent à se goinfrer. C’est alors que parut La Bête, sans que le marchand n’ait rien cueilli de prohibé cette fois-ci. Il s’adressa directement à la jeune fille qui faillit perdre ses légumes devant la gueule hideuse du monstre. Mais elle se ressaisit in extremis pour lui apporter fièrement de prolixes réponses à ses questions :
– Êtes-vous conne au point de partager votre dernier repas avec le type qui vous a traînée jusque ici pour vous sacrifier à sa place ?
– Non.
– Dans ce cas êtes-vous conne au point d’être venue ici de votre plein gré ?
– Oui.
Le père de La Belle ne partit que le lendemain, parce qu’il ne pouvait décemment pas s’en retourner de nuit, et que la literie du palais était fort agréable (et peut-être aussi parce que, quitte à ce que sa fille perde la vie, il souhaitait qu’elle connaisse au moins une fois les plaisirs de la chair ?).
Eurk
Après son départ, La Belle pleura abondamment et longtemps (et pour cause). Pourtant, elle se résolut à arpenter bravement les couloirs du château en attendant la mort (en l’espérant ?). Mais qu’elle ne fut pas sa surprise lorsqu’au beau milieu de ses pérégrinations ante-mortem, elle découvrit que La Bête, plutôt que de l’occire, lui avait fait préparer de magnifiques appartements par ses larbins ninjas. Elle y pénétra puis y découvrit un livre sur lequel était inscrit en lettres d’or que ses désirs étaient désormais des ordres car La Bête la considérait comme la reine de son château (ce qui ne lui foutait pas d’emblée la pression).
Mais l’unique chose que désirait La Belle, c’était revoir son père qui ne l’avait pourtant quittée que depuis 3 heures (euh... perversité cachée ou grosse prédisposition au syndrome de Stockholm ?). C’est alors qu’elle s’aperçut que le miroir de sa chambre était magique car son reflet ne lui montrait pas sa propre personne (ce qu’on demande par ailleurs généralement à un miroir) mais le visage déconfit de son daron rentrant dans la maison familiale.
Lorsque le soir vint, La Belle se joignit à La Bête pour dîner.
Mais alors que tout se passait bien, tout à coup, sans sommation aucune :
– Hein que tu me trouves moche ? Hein ? Hein ? Vas-y, dis-le que j’suis moche !
Face à cette agression verbale aussi soudaine qu’inopinée qui pouvait laisser penser que La Bête avait sévèrement picolé, La Belle, experte en lapalissades et autres euphémismes, lui rétorqua :
– Nan mais je préfère largement un type pas très jojo comme vous mais vachement sympa, plutôt qu’un type trop canon mais trop pas gentil quoi.
Pouce !!! Temps mort !!! Comment pouvait-elle déterminer si ce type-là était bon ou mauvais alors qu’elle ne le connaissait que depuis 24h à tout péter, qu’ils n’avaient échangé pas plus de trois phrases (ce qui est, je le concède, déjà énorme comparé aux autres princesses que nous avons déjà rencontrées), qu’il était un tout petit peu censé la buter et qu’elle en était carrément prisonnière ?
Sa vénalité était-elle suffisamment forte pour lui faire oublier tous ces menus détails ?
– Je suis totalement privée de liberté mais, hihihi, j’ai une robe de princesse !
Ou bien maniait-elle parfaitement le sarcasme, se foutant allègrement de la gueule du monde en général et de La Bête en particulier afin de gagner du temps, de ne pas contrarier le psychopathe et d’avoir momentanément la vie sauve ?
– Vous êtes trop cool comme geôlier serial killer de cueilleur de fleur, nan mais vraiment c’est chouette de me garder captive au lieu de me tuer.
La Belle éludait-elle volontairement ou involontairement le fait que la beauté c’est quand même un truc complètement subjectif mais aussi qu’il existe au moins deux autres catégories de personnes : les moches ET méchants et les beaux ET gentils (si tant est qu’une personne puisse être 100% bonne ou mauvaise, belle ou laide et sans ouvrir le champ des possibles aux mi-moches, aux mi-beaux, aux moyens-bof ou aux ni-beaux-ni-moches) ? Parce que là, quitte à choisir...
Cette ellipse simpliste et manichéenne ne serait-elle pas à une tentative désespérée d’auto persuasion pour que La Belle trouve des côtés positifs à sa séquestration ?
Préférer un mec moche et gentil plutôt qu’un mec beau et méchant ne semble-t-il pas un choix pour le moins logique voire évident ?... Cela-dit, les exemples de personnes préférant la beauté à la bonté étant légion et les connards rencontrant encore souvent beaucoup trop de succès (coucou Christian Grey !), cette théorie n’a peut-être pas le droit d’être érigée en vérité absolue.
Ainsi, tout de go, La Bête, qui était aussi visiblement bipolaire et qui avait complètement perdu l’habitude des interactions sociales, lui demanda :
– Voulez-vous m’épouser ?
Mais La Belle terrifiée, qui ne le trouvait pas moche mais y’a des limites, refusa. Alors La Bête s’en alla, la queue basse.
Ce petit manège dura trois mois. Trois mois durant lesquels La Bête redoubla de petites et grandes attentions. Trois mois durant lesquels elle demanda systématiquement en échange à La Belle de l’épouser, espérant sans doute l’avoir à l’usure. Trois mois durant lesquels La Belle refusa inlassablement, même si elle attendait leurs rendez-vous quotidiens avec une réelle impatience sans se rendre compte que c’était sûrement parce qu’il s’agissait de la seule distraction qui lui était consentie pendant sa captivité.
Un jour, le vil manipulateur à tête de monstre voulut lui faire promettre de ne jamais le quitter (en même temps, ce n’est pas comme si elle en avait véritablement le choix). Elle lui répondit qu’elle resterait avec lui pour toujours s’il acceptait de la laisser retourner juste une fois auprès de son père qu’elle voyait dépérir dans son miroir magique, histoire qu’il sût qu’elle était toujours en vie. La Bête lui rétorqua qu’il ne pouvait lui concéder cette faveur car sitôt partie du château, elle n’y refoutrait plus les pieds et qu’il en mourrait de chagrin (et hop ! Un nouveau petit coup de pression). Elle lui promit de revenir tant elle ne voulait pas lui faire de peine, lui qui avait été si bon avec elle...
Non ! Mais non ! Mais c’est pas vrai ! Secoue-toi ma grande : ce mec t’a entraîné chez lui grâce à un bon gros chantage affectif, tu vis recluse, oisive et ton cachot a beau être luxueux il n’en reste pas moins un cachot ! Alors non, toutes les « bontés », toutes les robes, tous les bijoux ne doivent pas te faire oublier que tu n’avais pas d’autre choix que de finir par l’apprécier.
Voyant bien que son habile stratagème avait fonctionné et que sa belle prisonnière était désormais sévèrement atteinte du syndrome de Stockholm pour lequel, souvenez-vous, elle était prédisposée, La Bête décida de lui faire confiance en lui accordant un séjour de 8 huit jours dans la maison familiale, non sans lui rappeler qu’au terme de ceux-ci, il mourrait si elle ne revenait pas. Une fois ce nouveau chantage affectif posé, il lui tendit une bague en lui expliquant qu’une fois chez son père, elle n’aurait qu’à la poser sur sa table de nuit avant de s’endormir pour se réveiller le lendemain au château.
Forte de ces recommandations parfaitement rationnelles, La Belle se réveilla dans la maison de son père sans même utiliser une quelconque bague magique parce que balec de la vraisemblance. Le vieil homme faillit mourir de joie et les sœurs de La Belle, mourir de jalousie lorsqu’elles la virent vêtue comme une princesse (visiblement tout le monde dans ce conte avait une santé fragile). Huit jours s’écoulèrent dans la joie retrouvée et le partage. Comme on n’a guère besoin d’ennemis quand on a une famille, lorsque La Belle annonça qu’elle devait rentrer au château, La Pute et La Teigneuse eurent l’idée machiavélique de feindre une tristesse inconsolable pour la forcer à demeurer encore chez leur père, espérant que La Bête se mît en rogne au point de dévorer leur jeune sœur.
La Belle (qui, décidément, cherchait une canonisation de son vivant) ne voulant pas non plus leur faire de peine, décida de rester une huitaine de plus. Mais, deux nuits plus tard, elle rêva de La Bête : elle la vit agonisante, couchée au milieu des jardins du palais. Sans même dire au revoir à son père, elle posa immédiatement la bague magique sur la table de nuit et se réveilla dans sa chambre au château.
Histoire de perdre un temps précieux, elle arpenta d’abord couloirs et étages à la recherche de La Bête, sans succès. Soudain, un éclair de génie vint la frapper et elle courut au jardin pour trouver le châtelain étendu à l’endroit exact où il l’était dans son rêve.
Elle le supplia de ne pas mourir, pleura, lui balança un seau d’eau dans la gueule, en vain. Alors elle finit par lui annoncer qu’elle acceptait ses multiples demandes en mariage.
Comme par magie, non seulement La Bête revint à la vie (à se demander si cette mise en scène n’était pas une énième manipulation de sa part), mais un feu d’artifice éclata au dessus du château en même temps qu’un concert philharmonique (ses domestiques furtifs possédaient moult talents cachés), détournant ainsi l’attention de La Belle et, lorsqu’elle se retourna, elle découvrit un magnifique jeune Prince en lieu et place de son tortionnaire à poil long.
Il lui expliqua qu’une méchante fée lui avait jeté un sort ne pouvant être rompu que si une belle jeune fille tombait amoureuse de lui sans qu’il pût lui montrer ni sa beauté, ni son esprit...
Euh... Vous êtes sûre Madame Leprince de Beaumont ? Non parce que là, ça veut tout de même dire que la méchante fée lui avait ordonné d’acheter l’amour d’une jeune fille pour rompre le charme... Sans compter que ce qui était valable pour elle (tomber amoureuse de la personne -ou de son fric puisque c’est apparemment pareil- et non de son apparence physique) ne l’était pas pour lui puisque la jeune fille de l’intitulé de la malédiction devait obligatoirement être belle (passons une nouvelle fois sur la nature totalement objective et universelle d’une telle caractéristique par ailleurs).
Malgré ses toutes petites incohérences, La Belle et L’ex-Bête décidèrent de se marier sur le champ (au moins avaient-ils le mérite de se connaître un peu, même mal). Et l’histoire ne précise pas si les salopes de sœurs aînées de La Belle furent invitées à la noce, ni son possiblement incestueux de père.
Ils vécurent ainsi heureux longtemps, dans un bonheur parfait, parce qu’on peut parfaitement filer le parfait amour avec un parfait inconnu qui vous a enlevé et enfermé pourvu, bien entendu, qu’il soit riche.
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